Aides publiques liées au salariat agricole : des effets qui questionnent

Les salariés agricoles sont les grands oubliés des débats sur l’agriculture. Pourtant 7 personnes sur 10 qui travaillent dans le secteur agricole sont des salariés et la pénurie de main-d’œuvre y est toujours plus préoccupante. Dans ce contexte, la CFDT Agri Agro a missionné le Basic pour analyser les effets des exonérations de cotisations sociales patronales, principales mesures en faveur de l’emploi agricole.


Les exonérations de cotisations patronales en agriculture prennent la forme de deux dispositifs : « Travailleurs Occasionnels Demandeurs d’Emplois » (TO/DE) qui est spécifique au monde agricole, et « Fillon » qui est un mécanisme transverse à tous les secteurs d’activité. Ensemble, ces 2 dispositifs représentent plus de 10% du montant total des financements publics français à l’agriculture en 2021.

Après trois décennies, aucun de ces deux dispositifs n’a fait l’objet d’une évaluation par les pouvoirs publics : les bénéficiaires ne sont pas connus, et les effets engendrés sur la création d’emploi et les conditions de travail n’ont pas été analysés. Pourtant, les enjeux sont élevés : la part des salariés dans la population active agricole ne cesse d’augmenter et ce sont aujourd’hui 7 personnes sur 10 qui travaillent en agriculture qui sont salariées.

Face à cette situation, la CFDT Agri Agro et le BASIC ont cherché à apporter des premiers éléments d’analyse pour nourrir une future évaluation de ces dispositifs.

Concernant l’objectif de création d’emploi assigné aux 2 mécanismes, aucun effet n’a pu être objectivé d’autant que 2,5 fois plus d’emplois salariés agricoles ont été détruits qu’il n’en a été créé en France sur la période 2003 – 2016 (dernière année où des estimations ont été publiées). Ces destructions correspondent à une perte de 111 000 emplois entre ces 2 années. Quant à la lutte contre le travail illégal, objectif assigné au dispositif TO/DE, aucune donnée ne permet de conclure à un impact positif car s’il y a baisse du nombre d’infractions et de victimes constatées depuis 2014, il y a également eu d’importantes coupes budgétaires dans les moyens alloués aux contrôles sur la période.

Sur le plan économique, les exonérations de cotisations patronales ont été promues par les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans comme  instrument essentiel pour soutenir la compétitivité de l’agriculture française face à nos concurrents européens, américains et asiatiques. Pour investiguer ce point, le BASIC a réalisé un travail innovant de modélisation à partir des données du réseau d’information comptable agricole (RICA) sur les principales filières employeuses de salariés : maraichage, arboriculture, viticulture et élevage bovin lait.

Les estimations ainsi réalisées confirment que les dispositifs TO/DE et Fillon permettent à toutes les exploitations qui emploient a minima des travailleurs occasionnels, et de surcroît des permanents, des économies de 3% à 6% sur le coût de chaque quantité produite (une baisse modérée mais qui peut faire une différence notable sur le marché). Les effets des exonérations sont plus marqués sur le résultat courant avant impôt (RCAI) des exploitations (qui permet aux agriculteurs de se verser un revenu), avant tout pour les exploitations qui emploient plus de 3 salariés permanents : elles ont un résultat net (RCAI) qui est de 20% à 33% supérieur à ce qu’il serait sans les exonérations de cotisations patronales.

Cependant, ces exploitations qui bénéficient le plus des dispositifs TO/DE et Fillon ont aussi un modèle agricole très questionnant du point de vue environnemental. A titre d’illustration :

  • En maraîchage, les exploitations de 3 à 9 salariés représentent 1 exploitation sur 10 dans la filière, mais captent un tiers de l’ensemble des exonérations de cotisations de cette même filière. Elles dépensent 10 fois plus en achat de gaz par hectare (probablement pour le chauffage de leurs serres), 3 fois plus en engrais par hectare et 7 fois plus en pesticides par hectare que les exploitations de la filière dites « familiales ».
  • En arboriculture, les exploitations de 3 à 9 salariés représentent un peu moins de 1 exploitation sur 10 dans la filière, mais captent un quart de l’ensemble des exonérations de cotisations de cette même filière. Elles dépensent 3 fois plus en gazole non routier par hectare (pour leurs machines), 2 fois plus en engrais par hectare et 4 fois plus en pesticides par hectare que les exploitations de la filière dites « familiales ».

Ces usages beaucoup plus intensifs de ressources fossiles, engrais et pesticides sont potentiellement la source d’impacts élevés sur le climat, la pollution de l’eau et des sols, la biodiversité et la santé, en premier lieu pour les travailleurs agricoles en raison du degré d’exposition plus élevé.

Au niveau social, l’étude met en lumière une forte présomption de création de trappe à bas salaires entre 1 SMIC et 1,2 SMIC dans lequel les travailleurs agricoles se retrouvent piégés en raison de la structure même des dispositifs d’exonérations TO/DE et Fillon qui génèrent des économies maximales entre ces 2 bornes.

Cela sans compter les nombreux autres facteurs de précarité de l’emploi et de difficulté des conditions de travail en agriculture qui contribuent à rendre ces métiers de moins en moins attractifs alors qu’ils sont essentiels, non seulement pour la souveraineté alimentaire du pays, mais aussi et surtout pour mettre en œuvre la nécessaire transition écologique et sociale du système alimentaire français.

Pour en savoir plus :

Dans les médias :

Photo d’illustration : Travailleurs maraîchers dans l’Ain. G. David.

Après avoir analysé les écarts de rémunérations entre PDG et salaires moyens dans les 100 plus grandes entreprises françaises cotées en Bourse, Oxfam France et Le Basic publient la seconde partie de leur étude qui s’intéresse au poids des versements aux actionnaires dans le partage de la valeur au sein des 100 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse entre 2011 et 2021.

Toutes les données sont téléchargeables en cliquant ici.

Vous pouvez également télécharger le rapport d’Oxfam, ainsi que notre note méthodologique.

Parmi les résultats marquants de cette étude :

  • Entre 2011 et 2021, dans les 100 plus grandes entreprises françaises cotées, la dépense par salarié.e a augmenté de 22 % alors que le versement aux actionnaires a progressé de 57 %. Cette divergence a en fait commencé en 2018, en rupture avec les années précédentes (voir graphique en haut de la page).
  • Les dividendes versés aux actionnaires ont bondi de 31,4 milliards d’euros entre 2020 et 2021,  soit presque autant que l’ensemble de la masse salariale des entreprises du TOP 100 (37 milliards d’euros).
  • Entre 2011 et 2021, les 100 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse ont versé en moyenne 71% de leurs bénéfices en dividendes et rachats d’actions. Pour le CAC 40, c’est en moyenne 65%.
  • En 2019, 45 % des dividendes et rachats d’actions versés aux actionnaires par les 100 plus grandes entreprises cotées en bourse auraient suffi à couvrir leurs besoins en investissement dans la transformation écologique.
  • Au sein du TOP 100 des entreprises, entre 2011 et 2021, certaines entreprises se distinguent par leur capacité d’investissement diminuée à cause de leur décision de satisfaire à court terme les demandes de leurs actionnaires, plutôt que de mettre de côté pour faire face au défi de transformation de leur modèle économique. Le cas le plus emblématique est celui d’ENGIE qui, entre 2011 et 2021, a accumulé plus de 784 millions d’euros de pertes tout en versant à ses actionnaires près de 24 milliards d’euros, un montant équivalent à 20% de ses amortissements sur la période.

Dans les médias :

Offrir des salaires et des revenus décents aux travailleurs des mines et des usines de traitement du mica est une étape essentielle pour sortir les travailleurs, leurs familles et leurs communautés de la pauvreté et de l’exploitation, et leur permettre de vivre en pleine autonomie. Les conclusions de la nouvelle étude menée par le Basic avec Responsible Mica Initiative (RMI) sont essentielles pour faire avancer la mission de la RMI, qui est d’établir une chaîne d’approvisionnement du mica qui soit équitable, responsable, durable et exempte de travail des enfants.

Pour en savoir plus, suivez les liens suivants pour accéder à :

L’une des causes profondes de la pauvreté et du travail des enfants dans les zones d’extraction du mica en Inde, situées à cheval sur les États du Jharkhand et du Bihar, est la faiblesse des prix payés aux villageois pour le mica qu’ils récoltent. Les principales raisons de la structure actuelle des prix sont l’absence de formalisation qui empêche les ménages de profiter des augmentations de prix, et le manque de transparence dans la chaîne d’approvisionnement. C’est pourquoi la RMI s’est alignée avec le gouvernement local sur l’objectif prioritaire de formalisation des travailleurs du mica. Pour compléter leurs maigres revenus et parce que les services de garde d’enfants et de scolarisation sont pratiquement inexistants dans les villages, les parents n’ont guère d’autre choix que d’emmener leurs enfants avec eux pour collecter le minerai. Si les parents gagnaient suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille, ils n’auraient plus besoin de faire travailler leurs enfants. Le versement d’un revenu ou d’un salaire décent aux travailleurs adultes est donc l’une des clés pour lutter contre le travail des enfants et briser le cercle vicieux actuellement à l’œuvre.

Pour évaluer les interactions complexes entre les prix du mica, les revenus et les salaires des travailleurs, et l’impact que des augmentations de revenus et de salaires auraient sur les coûts en aval, la RMI a commandé des études à Fair Wage Network (FWN) et au Basic, deux centres d’expertise reconnus en matière d’analyse économique. Dans un premier temps, le FWN a déterminé le montant d’un revenu ou d’un salaire décent dans le secteur du mica en Inde, ainsi que l’augmentation du prix de marché du mica qui serait nécessaire pour permettre une rémunération décente. Sur cette base, le Basic a évalué l’impact économique de l’augmentation des prix de la matière première sur les coûts tout au long de la chaîne de valeur, jusqu’au consommateur final.

Les résultats combinés des rapports du FWN et du Basic concluent que :

  • Le revenu décent d’une famille de récolteurs de mica représentative, composée de deux adultes et de trois enfants dans les régions rurales du Bihar et du Jharkhand a été estimé à 15 000 INR/mois. Quant au revenu décent d’une famille similaire travaillant dans une unité de transformation de mica d’une zone urbaine du Jharkhand, il est de 17 000 INR/mois.
  • Pour atteindre ces objectifs de revenus et de salaires décents, le prix moyen payé aux récolteurs de mica devrait être multiplié par cinq, ce qui porterait le prix moyen du mica à 41 INR par kilogramme, contre 9 INR par kilogramme en 2022.
  • Payer ce prix juste pour le mica en Inde génèrerait presque toujours un surcoût inférieur à 0,1 % du coût des produits finis qui utilisent le mica pour les consommateurs finaux, que ce soient pour des produits cosmétiques, des peintures ou des batteries des véhicules électriques, entre autres.

L’objectif de la RMI est désormais de travailler d’ici 2030 avec les membres de la chaîne de valeur du mica pour s’assurer que (1) 100 % de la main-d’œuvre villageoise engagée dans la récolte du mica au Jharkhand et au Bihar reçoive un prix plus élevé par kilogramme de mica recommandé par FWN et le Basic et (2) que 100 % des travailleurs travaillant dans les unités de traitement du mica et dans les mines gagnent un salaire décent. La capacité à atteindre ces objectifs dépend d’initiatives nouvelles et renforcées qui seront développées conformément aux piliers du programme RMI, avec pour finalité de contribuer à éliminer les obstacles complexes au changement qui subsistent. Parmi ces obstacles, les plus importants sont la longueur et la complexité de la chaîne d’approvisionnement, l’absence d’un cadre juridique solide dans le pays d’origine où le secteur est généralement dominé par la collecte artisanale et informelle du mica, et le manque de transparence de la chaîne de valeur qui a jusqu’à présent entravé la capacité à mettre en œuvre des mécanismes de paiement formels et vérifiables. Ces obstacles et d’autres encore peuvent être surmontés grâce à une combinaison de stratégies, sur lesquelles la RMI a commencé à travailler, et qui comprennent le renforcement de la traçabilité le long des chaînes d’approvisionnement, l’extension de normes contraignantes sur le lieu de travail, l’établissement d’un prix minimum du mica, la formalisation du secteur dans le cadre de coopératives de travailleurs et l’adhésion à des coalitions plus larges au sein de l’écosystème du mica.

Alors que le gouvernement réfléchit à des propositions pour « mieux partager les richesses en entreprises », le BASIC et Oxfam France publient une nouvelle analyse en deux actes sur la partage des richesses au sein des 100 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse, dite partage de la valeur. Le premier volet de cette analyse s’intéresse aux écarts de rémunération entre PDG et salaire moyen dans les 100 premières entreprises françaises cotées en bourse entre 2011 et 2021.

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Les chiffres clés

  • Entre 2011 et 2021, l’écart de rémunération moyen entre les PDG et le salaire moyen dans les 100 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse est passé de 64 à 97.
    • Au sein du CAC 40, cet écart de rémunération passe de 93 à 163
  • Le podium des inégalités salariales :
    • 1. Le PDG de Teleperformance, Daniel Julien, gagne 1484  fois plus que le salarié moyen de l’entreprise.
    • 2. Carlos Tavares, PDG de Stellantis, avec ses 66 millions d’euros de salaire, a gagné en 2021 en 3h22 l’équivalent du salaire annuel moyen de son entreprise.
    • 3. Le patron de Dassault Systèmes, Bernard Charlès, gagne 385 fois plus que son ou sa salarié.e moyen.ne
  • Les trois plus grosses rémunérations du TOP 100 sont basées en moyenne à 89 % sur des critères financiers.
  • Entre 2011 et 2021, les PDG des 100 plus grosses entreprises françaises ont vu leur rémunération augmenter de 66 %,  alors que celle de leurs salarié.e.s de seulement 21 %. Sur cette même période, le Smic, lui, a augmenté de seulement 14 %.
  • Dans le partage des richesses au sein des 100 grandes entreprises étudiées, la part allouée aux salaires a baissé de 10 points en 10 ans. Ce sont plus de 62 milliards d’euros qui auraient été alloués aux salarié.e.s en 2021 si elles avaient gardé la même répartition de la valeur ajoutée qu’en 2009, soit l’équivalent d’un chèque moyen de 8 914 euros par salarié.e en 2021
  • Plus de 10 000 euros supplémentaires, c’est ce que chaque salarié.e du CAC40 du monde entier aurait pu toucher en moyenne l’an dernier si la part dédiée aux salaires dans le partage des richesses de ces entreprises était restée la même depuis 12 ans.

Partage des richesses au sein des grandes entreprises : la part allouée aux salaires baisse en 10 ans

Alors que, les grandes entreprises n’ont de cesse d’annoncer des records de dividendes versés aux actionnaires et des fortes rémunérations de PDG, qu’en est-il des salarié.e.s des grandes entreprises ? Le constat est sans appel : les inégalités salariales au sein des 100 plus grandes entreprises cotées françaises se sont creusées en plus de 10 ans. Ainsi, la part dédiée à la rémunération du travail dans la valeur ajoutée est passée de 61 % à 51 %, soit une baisse de 10 points. Cette tendance est également valable pour le CAC 40, avec une part travail qui est passée de 58 % à 48 % de leur valeur ajoutée.

Des écarts de rémunérations sans précédent

La question des salaires versés dans les grandes entreprises est un levier crucial si on veut réduire les inégalités en leur sein. Or, les écarts de rémunération entre PDG et salarié.e.s sont abyssaux. Entre 2011 et 2021, les 100 plus grosses entreprises françaises ont augmenté la rémunération de leur PDG de 66 %, et seulement de 21 % celle de leurs salarié.e.s. Sur cette même période, le Smic, lui, a augmenté de seulement 14 %. Pour le CAC 40 les PDG ont augmenté leur rémunération de 90 %, leurs salarié.e.s uniquement de 23 %.

Les trois champions des écarts de rémunération

En tête, du podium, Teleperformance, leader mondial des centres d’appels, dont le PDG gagne 1484 fois plus que le ou la salarié.e moyen.ne de l’entreprise. Stellantis, constructeur automobile, qui détient entre autres des marques comme Peugeot, Citroën, Fiat et Opel, se place second avec un écart de 1139. Enfin, le troisième plus grand écart salarial est celui de Dassault Systèmes : l’entreprise éditrice de logiciels rémunère 385 fois plus son dirigeant que son ou sa salarié.e moyen.ne

Une construction de la rémunération des dirigeants problématique

Quand on regarde les rémunérations des PDG de Stellantis, Teleperformance et Dassault Systèmes, qui sont les trois dirigeants les mieux rémunérés, 89 % de leur rémunération est basée sur des critères financiers, et majoritairement court-termiste. Dans ce contexte,c’est l’intérêt des actionnaires qui est privilégié plutôt que l’intérêt de long terme de l’entreprise et de l’ensemble de ses parties prenantes, en premier lieu les salarié.e.s. 

 

Dans les médias :

Nos systèmes agro-alimentaires sont exposés à des chocs de plus en plus violents et fréquents : guerre en Ukraine, tensions sur les ressources énergétiques, sécheresse, augmentation de la précarité alimentaire. Dans ce contexte d’incertitude, comment fixer un cap à l’action publique afin de réussir les nécessaires transitions alimentaires des territoires ? C’est à cette question que l’outil Parcel entend apporter des réponses.

Développée par le Basic, Terre de Liens et la FNAB, la première version de Parcel lancée en octobre 2019 permettait déjà de calculer les surfaces nécessaires pour relocaliser notre alimentation, envisager une transition vers l’agriculture biologique, ou transformer notre régime alimentaire, le tout en évaluant les impacts de ces choix l’mploi agricole, sur le climat, l’eau et la biodiversité.

 

De nouvelles fonctionnalités viennent désormais l’enrichir. Elles permettent notamment de calculer le potentiel nourricier d’un territoire, de mesurer les conséquences du gaspillage alimentaire, d’évaluer les impacts de régimes alimentaires variés et de la loi Egalim, d’imprimer les résultats sous forme synthétique et graphique.
Ces fonctionnalités ont été présentées lors d’une webconférence le 23 juin, avec les éclairages d’un panel d’invités issus de la recherche, du développement agricole et de l’action publique locale :

  • Nicolas Bricas – Chercheur au Cirad, UMR Moisa et Titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde
  • Jean Luc Hallé – Vice Président Transition Agricole et Alimentaire de Douaisis Agglomération
  • Luc Lignon – Directeur de la Politique Alimentaire de la Ville de Montpellier
  • Philippe Camburet – Président de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique
  • Geneviève Bernard – Présidente de Terre de Liens

Publications de nouvelles recherches, mise à l’agenda politique, nombreuses mobilisations et communications : les pesticides font régulièrement la une de l’actualité. Les  prochains mois ne feront pas exception, puisque dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, qui se déroulera elle-même dans un contexte de campagne présidentielle, ce sujet sera au cœur des débats sur l’orientation de nos systèmes agricoles et alimentaires.

Ces débats ne manqueront pas de faire ressurgir la controverse autour des pesticides de synthèse, qui se nourrit en particulier de l’opposition entre :

  • d’une part, le poids économique du secteur, et sa capacité à « nourrir le monde », défendue par les fabricants et les utilisateurs de pesticides ;
  • et de l’autre ses impacts négatifs sur l’environnement et la santé, en Europe comme ailleurs dans le monde.

C’est dans le but d’objectiver ces questions que le Basic, le CCFD-Terre Solidaire et Pollinis publient l’étude « Pesticides : un modèle qui nous est cher ».

S’appuyant à la fois sur une évaluation des coûts et des bénéfices du secteur des pesticides à l’échelle européenne, et sur une analyse de l’évolution récente du secteur et de ses principaux acteurs (BASF, Bayer, Corteva, Syngenta), cette étude apporte de nouvelles données au débat. Elle questionne surtout la rationalité sociale et économique de la production et de l’utilisation de pesticides et, plus globalement, celle du modèle agricole qui en dépend.

Le secteur des pesticides coûte deux fois plus cher qu’il ne rapporte

Les pesticides font partie intégrante d’un modèle agro-industriel développé depuis le milieu du XXe siècle, qui s’appuie sur quatre piliers : engrais de synthèse, semences « améliorées », machinisme agricole et pesticides.

Sur les 20 dernières années, le marché mondial des pesticides a doublé pour atteindre 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020, l’Union européenne étant à la fois l’un des principaux consommateurs et exportateurs à l’échelle internationale.

Des impacts systémiques sur la biodiversité et la santé humaine

Cet usage intensif de pesticides a de multiples impacts. De nombreux travaux pointent le rôle des pesticides dans le déclin des insectes (en particulier les abeilles et autres pollinisateurs), des oiseaux et plus généralement de la biodiversité, qui menace in fine la fourniture de services écosystémiques indispensables à l’agriculture : pollinisation, contrôle des ravageurs ou encore régulation de la qualité des sols, de l’eau et du climat.

Les conséquences sur la santé humaine sont elles aussi de plus en plus documentées et reconnues, en Europe mais aussi dans les pays du Sud, où elles s’avèrent encore plus préoccupantes du fait de régulations insuffisantes pour protéger les populations des substances les plus toxiques.

Un secteur sous perfusion

Pour objectiver les répercussions économiques de ces différents impacts, nous avons mené une analyse coûts-bénéfices du secteur des pesticides qui investigue :

  • d’une part, les coûts réels générés par l’utilisation de pesticides qui sont supportés par la société européenne – dépenses publiques liées aux impacts négatifs des pesticides et soutiens publics perçus par le secteur ;
  • d’autre part, les profits comptables générés par les acteurs privés grâce à l’usage de pesticides.

A l’échelle européenne, les coûts directement attribuables aux pesticides – environ 2,3 milliards d’euros à la charge de la société en 2017 – sont près de deux fois plus élevés que les bénéfices nets qui sont directement réalisés par l’industrie – près de 0,9 milliard d’euros la même année.

Sans soutien public au secteur des pesticides, ni prise en charge collective des dépenses associées aux impacts négatifs qu’il engendre, sa profitabilité serait donc aujourd’hui impossible.

Le lobbying des fabricants de pesticides pour maintenir le status quo

L’acceptabilité sociale de ce non-sens économique est rendue possible par les importantes activités de lobbying menées par le secteur auprès des autorités publiques, pour défendre ses intérêts. Les dépenses associées au lobbying avoisinent les 10 millions d’euros par an pour le seul marché européen – soit plus que le budget de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) consacré à la réglementation des pesticides.

Un système agro-industriel qui ne tient plus ses principales promesses

Au-delà des coûts cachés du secteur des pesticides, notre étude rappelle que le modèle agro-industriel dans lequel il s’insère est loin d’avoir résolu les problématiques sociales, sanitaires et économiques qui ont justifié son développement au siècle dernier.

Produire plus ? Les limites de la course aux rendements

Si la production agricole mondiale a plus que doublé depuis les années 1950, les rendements agricoles atteignent aujourd’hui un plafond. Plus préoccupant, ils commencent à décroître dans de nombreuses zones de cultures spécialisées : en effet, les systèmes de production modernes, dépendants des pesticides, ont entraîné  des phénomènes croissants de résistances, la dégradation des sols et de la biodiversité et, in fine, la destruction des moyens naturels de production agricole (sols, faune et flore nécessaires au développement des cultures…), tout en contribuant à une aggravation des dérèglements climatiques.

« Nourrir le monde » ? L’insécurité alimentaire et la malnutrition, des fléaux en pleine expansion

La production agricole pourrait nourrir 1,5 fois la population mondiale. Pourtant, 40 % de cette population, en majorité des agriculteurs, fait toujours face à l’insécurité alimentaire : au-delà de la question des quantités disponibles, se pose celle  du gaspillage et de l’accès à l’alimentation pour tous… Ainsi que celle de la qualité. L’évolution vers des régimes alimentaires moins diversifiés, avec une proportion croissante de produits carnés et transformés, a fait exploser les problèmes de surpoids, de maladies cardio-vasculaires et d’obésité – une pandémie mondiale causée par les dysfonctionnements de nos systèmes agricoles et alimentaires actuels.

A qui profite le système ? Les agriculteurs, grands perdants du modèle alimentaire actuel

Plutôt que les agriculteurs et les consommateurs, ce sont les industries agro-alimentaires et la grande distribution qui apparaissent comme les grands gagnants de ce modèle : le prix de l’alimentation a été multiplié par cinq depuis les années 1960 (en monnaie courante), tandis que les prix des grandes commodités agricoles a été divisé par deux, et la part de la valeur allouée aux agriculteurs n’a cessé de diminuer. Sur la même période, la dynamique d’intensification et d’agrandissement des fermes, encouragée par les politiques publiques sous pression de la concurrence mondiale, a causé la destruction de millions d’emplois agricoles.

Un système qui va à l’encontre de la souveraineté alimentaire

De manière plus fondamentale, au-delà de l’évaluation des coûts cachés du secteur des pesticides, notre analyse questionne la capacité du système agricole et alimentaire qui dépend de ces produits à atteindre tout objectif de souveraineté alimentaire.

Un secteur qui s’est concentré au fil des fusions-acquisitions

A ce jour, quatre entreprises – Bayer, BASF, Syngenta/ChemChina et Corteva – détiennent près des trois-quarts du marché des pesticides, et près de 60% du marché des semences agricoles. A l’exception Syngenta/ChemChina, qui appartient à l’Etat chinois, Bayer, BASF et Corteva ont pour point commun d’être en partie détenues par les cinq mêmes fonds d’investissement américains : Blackrock, Vanguard, State Street, Capital Group et Fidelity. Ces fonds possèdent par ailleurs de 10 % à 30 % du capital des leaders mondiaux de l’agro-alimentaire, comme Unilever, Nestlé, Mondelez, Kellogg ou encore Coca-Cola et PepsiCo.

« Less is more » : La réinvention du secteur via l’agriculture de précision et les nouvelles technologies

Les leaders du secteur des pesticides, occidentaux comme asiatiques, tentent aujourd’hui de se réinventer via « l’agriculture numérique », en combinant leurs offres classiques à de nouveaux outils de collecte de données (capteurs, drones, satellites…) et à un usage de la robotisation. En parallèle, ils investissent de façon croissante dans les nouvelles technologies du génie génétique.

Au-delà des impacts environnementaux associés à ces nouvelles technologies qui sont basées sur une consommation toujours plus élevée de ressources non renouvelables, et de leurs coûts élevés qui limitent leur accessibilité, ce modèle accentue la dépendance des agriculteurs vis-à-vis de l’agro-industrie. Or, dans un contexte incertain, soumis à des aléas climatiques de plus en plus fréquents, la clé de leur résilience réside dans l’amélioration de leur autonomie et de leur capacité d’adaptation.

Derrière la révolution verte, la double peine pour les pays du Sud

Ces promesses d’un nouvel âge d’or de l’agriculture cachent une réalité moins reluisante pour le secteur : son développement international s’appuie encore en grande partie sur la vente dans les pays émergents de pesticides interdits en Europe, en raison de leur toxicité et des conséquences sanitaires et environnementales qui en découlent.

En parallèle, les populations de ces pays subissent également le développement peu régulé des sites de production de pesticides sur leur territoire, notamment suite à la délocalisation en cours de la production hors de l’Union Européenne et à l’explosion du marché des pesticides génériques depuis l’an 2000, qui ont placé la Chine et l’Inde aux premiers rangs des fabricants et exportateurs mondiaux.

La responsabilité des Etats

En quelques décennies, et grâce au soutien constant de la puissance publique, le monde agricole a investi massivement dans l’usage des pesticides. Tandis que les bénéfices de ce secteur se concentrent toujours plus fortement entre les mains de quelques multinationales, la société s’acquitte chaque année d’une facture considérable pour payer les coûts associés à l’usage des pesticides. Facture qui, dans tous les cas, ne pourra réparer les dégâts irréversibles causés aux humains et à l’environnement.

Pourtant, malgré ce constat d’échec, les institutions continuent de soutenir les acteurs historiques du secteur, reprenant même à leur compte les promesses d’une 3ème révolution agricole, accentuant les impacts sociaux et environnementaux, et la dépendance aux ressources non-renouvelables et à l’agro-industrie, plutôt que de les réduire.

En vis-à-vis, les modèles agroécologiques, diversifiés, ont amené les preuves de leur plus grande durabilité. Si la transition nécessite, elle aussi, des investissements, ces derniers seront moins importants et surtout plus durables. Par exemple, l’objectif de la stratégie « Farm to Fork » de l’Union Européenne de tripler les fermes bio d’ici à 2030 coûterait, d’après l’INRAE, 1,85 milliard d’euros par an – soit moins que les coûts sociétaux annuels associés aux pesticides.

Finalement, en 2022, les États devront prendre leur responsabilité et choisir entre un modèle coûteux, polluant et concentré dans les mains de quelques acteurs dont les centres de décision se situent hors Europe, et un modèle agroécologique durable défendu par les citoyens et les agriculteurs. Avec en ligne de mire la souveraineté alimentaire de l’UE, et plus largement celle de la planète pour les futures années à venir.

 

Dans les médias
En France
A l’international

Notre étude analyse la manière dont les entreprises du DAX 30 ont utilisé leurs bénéfices au cours de la décennie écoulée : entre 2009 et 2020, les versements aux actionnaires ont augmenté de 85 %, soit près de deux fois plus que les bénéfices (après impôts) qui ont augmenté de 48 %, alors que les impôts sur les bénéfices du DAX 30 sur la même période n’ont quant à eux augmenté que de 42 %.  Certaines entreprises ont parfois même rémunéré leurs actionnaires les années où ils faisaient des pertes. En outre, les réserves financières cumulées du DAX 30 sont passées de 122 milliards d’euros en 2014 à près de 200 milliards fin 2020, ce qui profite également aux actionnaires en augmentent la valeur de l’entreprise.

Au-delà, notre analyse montre un renversement de tendance. Les groupes du DAX 30 semblent s’éloigner de l’approche historique de gestion financière d’entreprise dans laquelle les actionnaires sont les derniers à bénéficier de la création de valeur en fonction du niveau des bénéfices : alors que traditionnellement les dividendes n’étaient versés que lorsque toutes les autres dépenses essentielles avaient été effectuées, le DAX30 augmente désormais constamment les paiements à ses actionnaires, tandis que l’affectation des bénéfices à la capacité d’investissement est devenue une variable d’ajustement.

Dans le même temps, les investissements des entreprises du DAX 30 dans la lutte contre le changement climatique ne sont pas à la hauteur des enjeux. Nos estimations des investissements annuels nécessaires pour rendre les modèles économiques de ces entreprises climatiquement neutres d’ici 2050 montrent qu’elles investissent trop peu, que ce soit dans le secteur des transports, de l’énergie, de l’immobilier ou du ciment. Pourtant, compte tenu de leur marge de manœuvre financière, certaines entreprises seraient en mesure de le faire sans subventions gouvernementales ni allégements fiscaux. Par exemple, dans le secteur des transports, si BMW, Daimler, Volkswagen et Lufthansa devaient réaliser les investissements climatiques supplémentaires requis de 13,8 milliards d’euros par an, elles réaliseraient encore des bénéfices qui leur permettraient de verser des dividendes aussi élevés qu’en 2009 ou 2010.

Nous avons également étudié la question des droits de l’homme et du devoir de vigilance. Dans le cas d’Adidas, si l’entreprise devait garantir le paiement de salaires décents dans les usines de la plupart de ses fournisseurs, cela nécessiterait des dépenses supplémentaires d’environ 567 millions d’euros. Ce montant réduirait de moitié les bénéfices annuels d’Adidas qui s’élèvent à 1,22 milliard d’euros, et réduirait potentiellement les versements aux actionnaires dans la même proportion ; même dans ce cas, les dividendes resteraient au niveau de 2013, lorsqu’ils étaient parmi les plus élevés de l’industrie textile mondiale.

Pour plus d’information :

 

Dans les médias allemands et internationaux :

Le numérique fait désormais partie intégrante de notre vie quotidienne, bouleversant le fonctionnement de l’économie et de la société dans son ensemble. Dans quelle mesure fait-il aujourd’hui évoluer les secteurs agricole et alimentaire ?

Notre étude met en lumière les conséquences multiples et encore en partie incertaines du développement et de la diffusion des outils numériques dans les filières alimentaires, et qui sont de nature à bousculer tous les acteurs depuis la fourniture de produits et services pour l’agriculture jusqu’à la consommation finale des produits alimentaires.

Les avancées numériques offertes par les acteurs privés sont certes porteuses de promesses de réduction des impacts environnementaux (dont les émissions de gaz à effet de serre, usage d’engrais et de pesticides de synthèses…) et de la pénibilité du travail. Mais le marché oriente ces avancées vers les acteurs les plus influents, renforçant de ce fait leurs positions dominantes dans les filières alimentaires et la captation de valeur par ces acteurs. Au-delà, les avancées liées à la numérisation se focalisent le plus souvent sur l’optimisation des performances pour permettre aux acteurs de baisser leurs coûts pour chaque euro de valeur créée. Ce faisant, ils amplifient la convergence vers des modèles économiques capitalistiques et automatisés, et ce tout au long des filières alimentaires.

Au contraire, pour assurer la durabilité du système alimentaire de même que sa résilience, il s’agirait aujourd’hui de rendre possible les changements de modèles de production et de permettre leur diversité à travers les territoires et les filières. Atteindre cet objectif nécessite de choisir collectivement la direction dans laquelle orienter les avancées numériques dans le secteur agricole et alimentaire, et pose donc la question du ciblage des investissements publics en la matière et de la régulation par les pouvoirs publics de ce marché. Des questions essentielles au moment où se jouent les derniers arbitrages de la nouvelle Politique Agricole Commune de l’Union Européenne.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter :

Cette méthodologie a été déployée dans le cadre d’une première étude sur 11 démarches et 15 filières du marché français relayée ce jour par deux ONG : Greenpeace et le WWF. Basée sur un travail de revue de littérature, elle prend en compte les cahiers des charges qui influent plus ou moins fortement sur les modes de production, ainsi que les actions annexes aux cahiers des charges ou induites par ces derniers. Elle s’appuie également sur des entretiens avec les acteurs des démarches pour comprendre leurs intentions, ainsi que sur une modélisation des liens entre les différents effets des démarches et les enjeux de durabilité liés à l’alimentation.

Des résultats différents suivant les démarches

Cette nouvelle étude apporte des informations précises et vérifiées sur les potentiels d’impact des démarches étudiées sur un large panel de problématiques environnementales (impacts sur le climat, la biodiversité…) et socio-économiques (bien-être animal, impact sur la santé humaine…) associées à l’alimentation, pour permettre aux consommateurs de choisir les labels alimentaires en connaissance de cause.

Trois familles de démarches ont pu être distinguées parmi les 11 étudiées :

  • Les démarches partageant le socle de la certification environnementale, en l’occurrence Agri Confiance, Zéro Résidus de Pesticides et la certification Haute Valeur Environnementale (HVE), ont les effets positifs les plus faibles et les moins avérés des démarches étudiées, quand bien même elles revendiquent parfois un impact large et important.
  • Les démarches partageant le socle de l’agriculture biologique (AB, Bio Equitable en France, etc.) sont liées à des bénéfices socio-économiques et environnementaux forts et avérés.
  • Les démarches définies filière par filière (Bleu-Blanc-Cœur, Label Rouge, AOP, etc.) sont, quant à elles, liées à des bénéfices très variés selon les cahiers des charges et filières, ce qui peut créer de la confusion pour les consommateurs.

L’étude montre notamment que certaines démarches alimentaires ont des bénéfices socio-économiques et environnementaux sensiblement différents des intentions affichées.

Pour accéder aux résultats complets de notre évaluation, visitez le site web que nous avons développé pour explorer les résultats.

Les labels, un sujet très politique

Enfin, cette étude permet d’enrichir les débats techniques et politiques autour des labels alimentaires, du cadre législatif et réglementaire associé, ainsi que des formes de soutien qui peuvent leur être accordées. Ainsi, Greenpeace et le WWF formulent les recommandations suivantes, à destination des responsables publics :

  • Réviser les cahiers des charges des démarches éligibles aux soutiens publics, par l’intégration d’un socle minimal de critères environnementaux (liés à la biodiversité et au climat) et socio-économiques (apparentés au revenu des producteurs, à la santé humaine, au bien-être animal).
  • Conditionner le soutien public aux impacts des démarches et non à leurs intentions affichées. En conséquence, il convient de suspendre le soutien public à la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) tant que le cahier des charges n’a pas été révisé, mais aussi de revoir les démarches identifiées comme “durables” dans la loi EGalim.

Pour aller plus loin :

Dans les médias :

Sur la base de la trajectoire indicative de décarbonation du secteur agricole de la Stratégie nationale bas-carbone française, l’Iddri et le Basic ont développé deux scénarios de systèmes alimentaires, visant tous deux les mêmes objectifs de décarbonation, mais via des trajectoires contrastées tant sur le plan sociopolitique que celui de l’évolution des stratégies économiques des acteurs au sein des filières.

La mise en regard de ces deux scénarios permet in fine d’évaluer leurs implications quantitatives (en termes d’emploi et de revenu) et d’identifier les conditions socio-politiques d’une transition juste :

  • Un scénario centré sur les enjeux climat, sans remise en cause des logiques de concentration/spécialisation de la production, s’accompagnerait d’impacts socio-économiques négatifs importants : accélération de la disparition des exploitations et des emplois associés (-9 % dans les secteur des grandes cultures et du lait par rapport tendanciel), perte d’emplois agroalimentaires (-12 % dans les mêmes secteurs par rapport à 2015), sans améliorer substantiellement la qualité de l’alimentation ni la biodiversité.
  • Un scénario prenant au sérieux les multiples défis auxquels notre système alimentaire est confronté de manière simultanée (climat, biodiversité, santé, emploi) pourrait générer de multiples bénéfices : maintien de l’emploi agricole (+10 % dans les secteur des grandes cultures et du lait par rapport au tendanciel) sans perte de revenu ; accroissement de l’emploi agroalimentaire (+8 % dans les mêmes secteurs par rapport à 2015) ; contribution à la restauration de l’agrobiodiversité et au développement d’une offre alimentaire plus alignée avec les recommandations nutritionnelles publiques.

En termes politiques, la viabilité économique du second scénario repose une évolution simultanée de l’offre, de la demande et de l’organisation des marchés, impliquant des changements importants :

  • une approche volontariste de la demande au niveau national, à rebours de la frilosité actuelle sur le sujet, mobilisant une large palette d’outils et permettant de faire du choix le plus sain et le plus durable le plus évident pour le consommateur ;
  • une convergence des visions entre États membres de l’Unions européenne, pour que la mise en œuvre des plans stratégiques nationaux dans le cadre de la politique agricole commune fixent aux producteurs des objectifs et des conditions de production comparables ;
  • une approche ambitieuse en matière de commerce international pour favoriser et accompagner l’adoption des normes de production ambitieuses.

Pour prolonger ces premiers résultats, il est nécessaire de compléter l’analyse des secteurs des grandes cultures et du lait réalisée dans la présente étude en l’étendant à l’ensemble des secteurs agricoles et des pays de l’Union Européenne. Une tâche à laquelle l’Iddri et le Basic ont commencé à s’atteler avec d’autres partenaires (Solagro, I4CE), dans l’objectif de publier de nouveaux résultats en 2022.

 

Pour en savoir plus :

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