
Cet été, le BASIC vous propose un voyage dans le temps à travers plusieurs époques qui ont contribué à façonner le système alimentaire tel que nous le connaissons aujourd’hui.

La distribution alimentaire telle qu’on la connaît aujourd’hui est une invention récente. À la fin du XIXe siècle, des magasins « à succursales multiples » ont fait leur apparition, particulièrement dans la région de Reims (Établissements économiques de Reims, Goulet-Turpin, Docks rémois, Comptoirs français). Les magasins à succursales multiples proposent des points de vente répartis en différents points du territoire, sous la même enseigne et avec une centrale d’achats en commun.
Mais, au milieu du XXe siècle, seules 11 % des ventes alimentaires se font dans ces commerces dits « concentrés » ; l’essentiel est effectué dans 375 850 magasins d’alimentation traditionnels n’employant aucun salarié. Le modèle de vente y est encore celui de l’épicier souvent âgé n’offrant qu’un assortiment restreint de produits et vendant peu mais cher. La France est à cette époque le pays ayant la plus forte densité de magasins alimentaires en Europe.
La révolution arrive en 1948. L’entreprise rémoise Goulet-Turpin ouvre le premier commerce en libre-service de France, à Paris, un peu au nord de Montmartre. On ne se fait plus servir : on arpente les quelques rayons du magasin avec un panier qu’on remplit soi-même en se basant sur des prix clairement affichés, puis on se dirige vers la caisse pour régler ses achats (ce qui nous paraît aujourd’hui d’une banalité confondante). Les magasins en libre-service se développent alors, malgré la réticence de certain·es gérant·es craignant les vols et de certain·es client·es préférant se faire servir, comme le racontait en 2017 dans le journal L’Ardennais Laurent Leroy, auteur d’un site très documenté sur l’entreprise Goulet-Turpin.
Les magasins en libre-service ouvriront la voie aux supermarchés, dont le premier verra le jour en 1958 à Rueil-Malmaison, en région parisienne, à l’initiative encore une fois de Goulet-Turpin (cette entreprise disparaîtra à la fin des années 1970 après son rachat par Promodès, lui-même absorbé 20 ans plus tard par Carrefour). Aux petits magasins en libre-service des débuts, les supermarchés auront ajouté une grande surface de vente (plus de 400 m²) et donc un choix de produits nettement élargi, la mise à disposition de chariots, la présence d’un parking, mais aussi des « têtes de gondole » avec des « produits d’appel » à prix attractifs et des animations commerciales. Ils deviendront rapidement centraux dans l’approvisionnement alimentaire des ménages, conférant aux entreprises de la distribution un fort pouvoir de négociation des prix face aux industriels et aux agriculteurs et agricultrices.
👉 Tous les épisodes de la série :
- Épisode 1 : 1950-1965, la décennie folle de l’agriculture
- Épisode 2 : la première chaîne de restauration
- Épisode 3 : l’explosion du marketing
- Épisode 4 : les séminaires américains qui ont influencé la grande distribution
- Épisode 5 : Jacques Borel, roi de la restauration, empereur de la malbouffe
- Épisode 6 : des marques venues du XIXe siècle
- Épisode 7 : la simplification des cultures agricoles
- Épisode 8 : l’invention du libre-service
Pour aller plus loin
- Étude sur la création de valeur et les coûts sociétaux du système alimentaire français, BASIC
- Consommation de masse et grande distribution, une révolution permanente (1957-2005), Jean-Claude Daumas, Vingtième Siècle. Revue d’histoire
- Interview sur l’histoire de Goulet-Turpin dans L’Ardennais
- Photos du premier magasin en libre-service
Photo d’illustration : un magasin en libre-service, en 1948, mais en Finlande, par UA Saarinen