Cet été, le BASIC vous propose un voyage dans le temps à travers plusieurs époques qui ont contribué à façonner le système alimentaire tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Dans “L’Aile ou la cuisse”, comédie de Claude Zidi sortie en 1976, les personnages interprétés par Louis de Funès et Coluche affrontaient Jacques Tricatel, “l’empereur de la cuisine industrielle, le Napoléon du prêt-à-manger”. Ce machiavélique patron d’une entreprise fabriquant des produits alimentaires absolument répugnants s’inspirait d’un véritable industriel : Jacques Borel.
Jacques Borel, âgé aujourd’hui de 98 ans, aura marqué le paysage de la restauration des années 1960 et 1970 par sa frénésie entrepreneuriale. Dès la fin des années 1950, cet ancien élève de HEC et ex-cadre d’IBM crée une ébauche de titre-restaurant pour augmenter la fréquentation de l’Auberge express, un établissement qu’il a ouvert près des Champs-Élysées. Plusieurs entreprises se créeront dans la foulée, l’une proposant un Chèque Déjeuner, l’autre un Chèque Restaurant, mais l’entreprise de Jacques Borel, Ticket Restaurant, aujourd’hui propriété du groupe Edenred, s’imposera au point qu’on emploie généralement son nom pour désigner ces bons.
En 1961, Jacques Borel tente de convertir la France au hamburger en ouvrant à Paris un premier fast-food portant l’enseigne de l’entreprise britannique Wimpy. Le hamburger qu’on y servait “contenait du bœuf”, “était chaud et servi à table alors que son seul concurrent, était un sandwich de porc, froid, mangé debout au comptoir des bistrots”, se rappelait Jacques Borel en 2011 auprès de l’AFP. Le succès est pourtant mitigé. Le Wimpy français comptera jusqu’à 20 restaurants avant de péricliter à la fin des années 1970.
Entre-temps, Jacques Borel s’est lancé dans les restoroutes. Il ouvre notamment à partir de 1969 des ponts-restaurants – un concept américain déjà exporté vers l’Italie – qui présentent l’avantage d’être accessibles depuis les deux côtés de l’autoroute. Les restoroutes s’adaptent à la demande d’un flux important d’automobilistes en proposant une carte réduite et un service rapide. Comme avec les hamburgers, Jacques Borel a compris que la clientèle était de plus en plus pressée, mais la qualité contestée des aliments servis finit par nuire à ses entreprises, dont le succès s’étiole rapidement. Elles deviennent synonymes de malbouffe. Observant que le nom de l’industriel est proche de celui de Jacques Brel, Coluche lance dans un de ses sketchs “Jacques Borel, c’est celui qui chantait ‘le plat pourri qui est le mien’”. “Cet endroit fait plus de victimes que les deux guerres passées”, chante quant à lui Eddy Mitchell.
Désavoué par son conseil d’administration, Jacques Borel quittera l’entreprise qui porte son nom en 1977. Celle-ci sera rachetée en 1982 par le groupe hôtelier SIEH, le nouvel ensemble prenant l’année suivante le nom d’Accor.
👉 Lire l’épisode 6 : des marques venues du XIXe siècle
👉 Lire les épisodes précédents :
- Épisode 1 : 1950-1965, la décennie folle de l’agriculture
- Épisode 2 : la première chaîne de restauration
- Épisode 3 : l’explosion du marketing
- Épisode 4 : les séminaires américains qui ont influencé la grande distribution
Pour aller plus loin
- Étude sur la création de valeur et les coûts sociétaux du système alimentaire français, BASIC
- Article du Monde de 1974 sur le parcours de Jacques Borel
- Vidéo de Jacques Borel expliquant son invention du titre-restaurant (et son échec à convaincre les États-Unis de l’adopter)
- Le témoignage de Jacques Borel à l’AFP sur les débuts du Wimpy français
- Reportage sur l’inauguration du premier restaurant d’autoroute (avec le découpage d’un gâteau représentant les lieux)
- La caricature de Jacques Borel en Jacques Tricatel par Julien Guiomar dans “L’Aile ou la cuisse”
- Le sketch de Coluche (“Le Belge”) mentionnant Jacques Borel
- La chanson d’Eddy Mitchell (“Le Bon Temps qui passe”) évoquant les restaurants de Jacques Borel
Les illustrations de cet article proviennent du film “L’Aile ou la cuisse”, d’une carte postale La Cigogne et d’une vidéo de The Morning Advertiser.