Comme Zara ne publie aucune donnée sur les niveaux de salaires chez ses fournisseurs et ses prix d’achat, nous avons réalisé notre propre estimation détaillée de la composition du prix d’un sweatshirt estampillé « RESPECT » vendu à l’été 2019 dans les magasins de la marque.
Selon nos calculs : Inditex (maison-mère de Zara) gagne 4,20€ par article, soit plus de deux fois plus que toutes les personnes impliquées dans la fabrication du produit (2,08 € francs), des champs de coton en Inde à la filature de Kayseri, dans le centre de la Turquie, jusqu’aux usines de confection à Izmir.
L’enquête de Public Eye sur place met en lumière la pression exercée sur les prix par l’entreprise. L’usine chargée de la confection des 20 000 sweatshirts n’a reçu que neuf lires turques par pièce (soit 1,53 €) et l’imprimerie qui a apposé le slogan aurait touché à peine 9 centimes par impression. Pour s’en sortir, les propriétaires des usines sont contraints de payer leur personnel moins qu’ils ne le devraient, ou de le faire travailler plus.
D’après les informations récoltées en Turquie, les ouvriers et ouvrières gagneraient entre 2000 et 2500 lires turques par mois (310 à 390 €), soit un tiers environ du salaire vital estimé par la Campagne Clean Clothes (6130 lires).
Les salaires de misère ne sont pourtant pas une fatalité : 3,62 € de plus par article consacrés à la main-d’œuvre suffiraient à garantir un salaire vital à tous les travailleurs et travailleuses. Même s’il prenait sur ses bénéfices pour couvrir cette somme, Inditex continuerait à faire des profits sur chaque sweatshirt vendu – plus que tous ses sous-traitants dans la chaîne…
Sur la base de ces résultats, les partenaires de l’étude – Public Eye, le Collectif Ethique sur l’Etiquette et Schone Kleren Campagne – ont démarré une campagne pour interpeller Inditex, qui affichait en 2018 un bénéfice net record de 3,44 milliards d’euros, et engager l’entreprise à changer ses pratiques pour mettre en œuvre concrètement un salaire décent pour toutes celles et ceux qui travaillent dans ses chaînes d’approvisionnement.
Pour aller plus loin :
- L’enquête publiée par Public Eye
- Notre rapport conjoint avec le Collectif Ethique sur l’Etiquette
Dans les médias,
- En France:
- En Suisse :
- Le Courrier – Le «respect» selon Zara en question
- Le Temps – L’industrie de la mode rattrapée par ses démons
- Bon à Savoir : Le pull aux œufs d’or
- En Allemagne :
- Der Spiegel – Respekt – aber für wen?
- 20 Minuten – An diesem Hoodie sollen Näher 1.27 Fr. verdienen
- Luzerner Zeitung – Kein Respekt vor Näherinnen? Modehändler Zara am Pranger
- En Italie :
- La Repubblica – Lavoro e salari dignitosi, la Campagna « Abiti Puliti »: « Ecco quanto costa davvero un maglione da 39,67 euro »
- Avvenire – «La felpa simbolo della sostenibilità prodotta sfruttando i lavoratori»
- Vita – Zara, il greenwashing di un’azienda che parla di sostenibilità sfruttando i lavoratori
- Au Royaume-Uni :
- Yahoo Finance – Zara’s sustainable sweatshirt raises troubling fashion ethics issues
- Business and Human Rights – Turkey: Investigation tracks production of ‘sustainable’ Zara hoody, revealing garment worker exploitation & low wages
- Ecotextile News – Investigation into Inditex raises worker concerns
- Just-Style – Human rights groups call on Inditex to ‘respect” living wages
- Quartzy – Zara’s sustainable sweatshirt raises troubling fashion ethics issues
A partir de 2021, la nouvelle directive européenne protégera donc les fournisseurs dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 350 millions d’euros contre les pratiques commerciales déloyales dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Elle couvrira les fournisseurs – européens comme non européens – contre : les retards de paiement concernant les produits périssables (fruits, légumes…), les annulations de commandes de dernière minute, les modifications unilatérales ou rétroactives des contrats de fourniture, l’utilisation abusive d’informations confidentielles et les représailles ou la menace de représailles contre les fournisseurs…
Les autorités de contrôle des États membres auront le pouvoir de lancer des enquêtes (d’office) et les ONGs auront le droit de déposer des plaintes lorsque les fournisseurs n’osent pas le faire (les principales caractéristiques de l’accord sont accessibles ici).
C’est le résultat d’un travail de plaidoyer conjoint mené par plusieurs organisations et plates-formes de la société civile à travers l’Europe depuis 2013, en particulier nos partenaires Fair Trade Advocacy Office, la campagne Make Fruit Fair, Banana Link et Commerce Équitable France.
De notre coté, nous sommes ravis d’avoir eu l’opportunité de contribuer à cette dynamique en publiant 2 études qui ont soutenu leur campagne :
- « Qui a le pouvoir » en novembre 2014, accompagné d’une vidéo sur internet qui investigue les conséquences sociales et environnementales de la concentration croissante du pouvoir dans les chaînes alimentaires. Les principaux résultats ont été présentés au Parlement européen avec le soutien d’Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.
- «Les chaînes de valeur de la banane en Europe et les conséquences des pratiques commerciales déloyales» en novembre 2015, qui a également été présentée au Parlement européen (voir l’image ci-dessus).
Le Basic invité par la Commission Européenne à présenter à Bruxelles sa dernière étude sur la filière café
Une soixantaine de personnes travaillant dans des institutions européennes, des ambassades étrangères, des fédérations professionnelles et des organisations de la société civile ont participé à la conférence « InfoPoint » sur la filière café organisée par la DG DEVCO de la Commission Européenne.
L’occasion pour nous de présenter les principaux résultats de notre étude publiée le 1er octobre 2018, en particulier la démultiplication de valeur réalisée en aval par les distributeurs et les grandes marques de café, dont les producteurs en Amérique Latine et en Afrique ne voient pas la couleur alors qu’ils sont plus que jamais touchés par la baisse des prix mondiaux, la précarité sociale et les conséquences du changement climatique.
Les partenaires de l’étude (Commerce Equitable France, Max Havelaar France et le réseau Repenser les Filières) ont quant à eux mis l’accent sur les propositions qu’ils portent dans le cadre de leur campagne conjointe de plaidoyer. Propositions qui s’appuient sur les conclusions de l’étude, en particulier la création d’un observatoire des prix et des marges au sein de l’Organisation Internationale du Café (ICO).
Les échanges ont été nourris avec les participants, aussi bien sur le diagnostic porté et la méthodologie d’analyse utilisée que sur les pistes de solution à même de répondre aux défis importants auxquels le secteur du café doit répondre pour assurer sa pérennité à moyen terme.
Un débat public hautement nécessaire et auquel nous continuerons de contribuer en 2019, en France comme au niveau international.
Pour revoir les débats en streaming, cliquez sur ce lien.
Vous pouvez également télécharger la synthèse comme le rapport complet en cliquant ici.
Le Basic ouvre les débats lors de la journée mondiale du cacao à Paris
Pour cette occasion, le syndicat du chocolat a rassemblé tous les acteurs de la filière pour aborder et débattre des sujets majeurs qui touchent le secteur : rémunération des producteurs, lutte contre la déforestation, changement climatique…
Après les discours d’ouverture prononcés par Patrick Poirrier (Président du Syndicat du Chocolat), Jean-Baptiste Lemoyne (secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères) et Mamadou Sangafowa Coulibaly (Ministre de l’Agriculture et du développement rural de Côte d’Ivoire), nous avons eu l’opportunité de venir présenter notre analyse des enjeux socio-économiques et environnementaux de la filière du cacao en introduction de la 1ère table-ronde de débats.
Basé sur les résultats de notre étude comparative publiée en 2016 sur les chaînes de valeur du chocolat vendu en France et produit à partir de cacao ivoirien et péruvien, cette présentation fut l’occasion de rappeler les liens étroits entre dynamiques commerciales en aval, sous-rémunération des planteurs de cacao, et les enjeux de précarité sociale, travail des enfants et déforestation dans les pays producteurs.
Elle a également permis de mettre en avant les pistes pour un changement de paradigme dans la filière cacao, condition nécessaire pour résoudre les problèmes socio-environnementaux à la racine :
- une meilleure valorisation de l’origine du cacao afin de permettre une rémunération décente des producteurs couvrant leurs coûts de production et leurs besoins essentiels,
- le soutien aux organisations collectives de producteurs à la base,
- l’investissement dans les services publics essentiels dans les communautés cacaoyères
- la promotion de modèles agroforestiers de production du cacao et la protection de la biodiversité.
Pour plus de détails, voir le rapport « La face cachée du chocolat » publié en 2016
Notre article sur Nike et Adidas dans la revue ProjetEn 2016, plus de 23 milliards de paires de chaussures se sont vendues dans le monde[1], soit environ trois paires pour chaque habitant de la planète. 4 % ont été produites en Europe ; 87 % en Asie, principalement en Chine, dans des villes usines pouvant compter jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers, et au Vietnam, principal concurrent de l’Empire du milieu. Le choix des zones de production semble désormais dicté par le coût du travail et les marques se dirigent la plupart du temps vers les pays ou régions dont les salaires sont les plus bas. Illustration de cette dynamique, l’Éthiopie a réussi à attirer ces dernières années quelques grands groupes du secteur – majoritairement chinois[2] –, grâce à la mise en place d’une politique volontariste qui comprend la création de zones économiques spéciales où les frais d’installation et de fonctionnement sont quasiment inexistants pour l’industrie manufacturière du textile[3], et à des salaires jusqu’à dix fois inférieurs à ceux pratiqués en Chine. Au-delà de ces grandes tendances, difficile de retracer l’itinéraire de fabrication d’une paire de chaussures : les chaînes d’approvisionnement sont souvent éclatées géographiquement et se caractérisent par leur forte opacité et leur instabilité.
Difficile de retracer l’itinéraire de fabrication d’une paire de chaussures : les chaînes d’approvisionnement sont souvent éclatées géographiquement et se caractérisent par leur forte opacité et leur instabilité. |
En termes de ventes, les choses sont plus claires : les chaussures de ville classiques, pour femmes ou hommes, perdent du terrain au profit des sneakers, « baskets de ville » plus confortables et plus à la mode qui privilégient des matériaux comme le textile, le caoutchouc et le plastique. En France, les sneakers représenteraient désormais 50 % du marché (jusqu’à 80 % pour les chaussures pour enfant). Cette évolution illustre un phénomène plus large d’hybridation entre le monde du sport et celui de la mode, qui s’appuie sur des valeurs telles que la santé et le dépassement de soi. Elle a redynamisé les ventes du secteur et accru le chiffre d’affaires des marques de chaussures de sport[4]. En France, si le marché de la chaussure est dominé par le groupe Vivarte (11 % des parts de marché), qui possède notamment La Halle, Minelli et San Marina, Nike et Adidas sont désormais juste derrière avec 7 % de parts de marché chacun et les plus forts taux de croissance. Concernant les seules chaussures de sport, ces deux groupes représentent environ 55 % du marché en Europe, devant Décathlon (8 %), Puma (5,4 %) et Asics (4,2 %) et peuvent illustrer certaines évolutions du secteur dans son ensemble[5].
Le cours de la bourse tu chériras
Le modèle économique de Nike et Adidas se caractérise par une capacité à augmenter d’année en année le chiffre d’affaires, à générer des profits croissants et à rémunérer de mieux en mieux leurs actionnaires. Entre 2011 et 2017, leur chiffre d’affaires a crû de 9 % par an en moyenne, soit deux fois plus vite que le marché des articles de sport[6]. Et depuis 2006, les dividendes ont doublé chez Adidas, quand ils ont été multipliés par trois pour Nike. Avec une performance supérieure de 70 % en moyenne à l’indice américain du Dow Jones sur les quatre dernières années, la marque au swoosh (la virgule à l’envers, logo de Nike) est désormais une référence en termes de résultats boursiers. Selon les analystes financiers, 1000 $ d’actions Nike achetées en 2007 valent désormais 3319 $. C’est la cinquième plus forte progression de Wall Street sur la période, derrière Netflix, Amazon, Apple et Starbucks, mais devant Google, Microsoft et Coca-Cola. En 2018, la capitalisation boursière de Nike s’élève à plus du quadruple de son chiffre d’affaires, soit près de 134 milliards de dollars (environ 120 milliards d’euros). À la suite d’un redressement spectaculaire ces deux dernières années, le groupe allemand Adidas pèse quant à lui plus de 49 milliards d’euros en bourse, soit plus que le double de son chiffre d’affaires annuel (21,2 milliards d’euros en 2017)[7].
Le modèle économique de Nike et Adidas se caractérise par une capacité à augmenter d’année en année le chiffre d’affaires, à générer des profits croissants et à rémunérer de mieux en mieux leurs actionnaires. |
En 2017, Nike a reversé 2,1 milliards d’euros supplémentaires à ses actionnaires par rapport à 2012 et Adidas 229 millions d’euros. Une bonne affaire pour les principaux actionnaires qui, à l’exception du créateur Phil Knight, qui détient 1,6 % du capital, sont des grands gestionnaires d’actifs ou de fonds de pension internationaux, comme The Vanguard Group (7,8 %), BlackRock (6,1 %), ou Capital World Investors (5 %). The Vanguard Group et BlackRock qui comptent également parmi les premiers actionnaires… d’Adidas !
Dans ta marque tu investiras
Ces résultats exceptionnels sont le fruit d’une stratégie marketing qui consiste à se positionner au croisement entre le monde du sport et celui de la mode. C’est la tendance « Athleisure » (« sports et loisirs »), illustrée par les modèles Stan Smith (Adidas) et Dunk Sky High (Nike), portés indifféremment à l’école, au bureau ou pour faire du sport. Lancée aux États-Unis, cette mode s’est imposée dans la plupart des marchés européens ainsi que dans les pays émergents. Elle s’appuie sur des modèles cultes et vintage valorisant l’histoire des marques. La gamme « Originals » d’Adidas réalise désormais les deux tiers de la croissance du groupe.
Le dynamisme de ce segment est également lié à une promotion active (campagnes de publicité, placements de produits dans des clips vidéo, événements…) qui implique des personnalités de la mode, du sport et du show-business. Ces associations ont permis à Nike et Adidas de renforcer leur attractivité grâce à la renommée des stars et aux passions qu’ils génèrent auprès du grand public. Le marketing et le sponsoring prennent ainsi une place croissante dans les budgets des équipementiers sportifs : 13 % du chiffre d’affaires d’Adidas (2,7 milliards d’euros), 10 % de celui de Nike (3 milliards d’euros) en 2017. Estimées à 1,2 milliard d’euros, les seules dépenses de sponsoring de Nike représentaient la même année environ 40 % de son budget marketing, soit quatre fois plus qu’en 2012.
En termes de modèle économique, ces investissements massifs et croissants dans l’immatériel vont de pair avec une multiplication des modèles, liée à la stratégie de « personnalisation de masse » déployée par les grandes marques du secteur. Les consommateurs bénéficient désormais d’une très grande variété de modèles à un coût très proche de celui des produits standardisés. Le nombre de modèles de Nike a augmenté d’environ 25 % en deux ans et d’un facteur 15 depuis les années 1980.
Tes coûts tu réduiras
Les chaussures de sport sont presque entièrement fabriquées en Asie via des réseaux très étendus de fournisseurs. Nike a bâti son succès sur ce modèle, qui lui a permis de réduire ses coûts de production, ce qui a poussé Adidas à totalement délocaliser sa production en Asie à partir des années 1990. Cette dynamique a suscité l’émergence de sociétés de grande taille en Asie qui ont développé des réseaux d’usines sur tout le continent. Le taïwanais Pou Chen, par exemple, possède la plus grosse usine de chaussures de sport de la planète : on y fabrique environ 20 % des chaussures de sport vendues chaque année dans le monde[8]. Il existe désormais une « organisation triangulaire » dans laquelle les intermédiaires sont en contact direct avec les équipementiers et gèrent pour eux la chaîne d’approvisionnement à travers leurs réseaux de sous-traitants.
Pour accroître leur pouvoir de négociation et contenir leurs coûts de production tout en conservant la qualité de leurs produits, Nike et Adidas ont imposé le « lean management » à leurs fournisseurs. Inventé chez Toyota dans les années 1970 pour les activités d’assemblage d’une grande variété de composants, ce système de gestion s’appuie sur deux piliers : le « juste à temps » (production en flux tendu pour réduire les délais d’approvisionnement) et la minimisation des coûts de production. Dans ce cadre, l’un des outils des équipementiers sportifs est le « target costing », qui détermine pour chaque modèle le prix final proposé au consommateur, la marge commerciale souhaitée et, in fine, le coût de production maximum du produit. Les salaires des ouvriers et ouvrières servent dès lors de variable d’ajustement aux fournisseurs pour fabriquer au coût exigé, en respectant le cahier des charges qualité qui leur est imposé. À plus long terme, Nike et Adidas semblent vouloir réduire encore les coûts en automatisant leurs chaînes de fabrication. Non sans graves conséquences sociales pour les pays dépendant de leurs exportations en textile-habillement.
Les salaires des ouvriers et ouvrières servent dès lors de variable d’ajustement aux fournisseurs pour fabriquer au coût exigé. |
Enfin, depuis quelques années, l’optimisation des coûts par les grandes marques de sport ne se limite plus aux chaînes d’approvisionnement en amont, mais concerne également les circuits de distribution en aval. Historiquement centrés sur le commerce de gros d’articles de sport, Nike et Adidas réalisent désormais plus d’un quart de leur chiffre d’affaires en vente directe, via leurs boutiques (un millier pour Nike, plus de 2500 pour Adidas), et surtout par internet. Les ventes en ligne représentent déjà 1,8 milliard d’euros pour Nike et 1,6 milliard d’euros pour Adidas, soit respectivement 6 % et 7,5 % de leur chiffre d’affaires global. Les deux équipementiers comptent doubler ce pourcentage d’ici 2020, au détriment de la vente en magasin. Selon une étude du cabinet Nielsen Fields, ce canal de distribution est un enjeu majeur pour Nike et Adidas : grâce à la réduction des intermédiaires, les chaussures vendues par internet rapporteraient sept fois plus que dans la distribution traditionnelle (passant de 8 à 54 dollars pour des baskets vendues 168 dollars[9]).
Les travailleurs tu oublieras
Si les marques justifient le lean management par une diminution des déchets, une augmentation de la productivité et une meilleure adaptabilité aux tendances, elles omettent son impact social : cadences de travail élevées imposées par le « juste à temps » et, surtout, pression sur les coûts des fournisseurs, en particulier pour la main-d’œuvre, alors même qu’elle ne représente qu’une part infime de la valeur finale d’une paire Nike ou d’Adidas (environ 2,5 % selon nos estimations). Cette dynamique est illustrée par l’évolution de la découpe de la valeur des chaussures Nike et Adidas[10].
Tableau I. Estimation de la découpe moyenne du prix d’une chaussure de Nike et Adidas
Paire de chaussures Nike en 1995 | Paire de chaussures Nike en 2017 | Paire de chaussures Adidas en 2017 | Paire de chaussures Nike en 2017 vendues sur internet | |
Distributeur (y compris TVA) | 49 % | 50 % | 50 % | 20 % (TVA) |
Marque (impôts) | 1,5 % | 1 % | 1 % | 1 % |
Marque (bénéfice) | 3,5 % | 5 % | 2 % | 30 % |
Marque (autres coûts) | 12 % | 12 % | 13 % | 17 % |
Marque (marketing + sponsoring) | 4 % | 5 % | 8 % | 5 % |
Transport (+ douanes) | 5 % | 5 % | 5 % | 5 % |
Coûts de production | 24 % | 22 % | 21 % | 22 % |
Fournisseur (autres coûts + bénéfice) | 7 % | 2,5 % | 2,5 % | 2,5 % |
Salaires des travailleur.euse.s | 4 % | 2,5 % | 2,5 % | 2,5 % |
Matières premières | 13 % | 17 % | 16 % | 17 % |
Source : BASIC, d’après les informations publiées par le Washington Post (1995) et de www.solereview (2018)
Ces données montrent qu’entre 1995 et 2017 :
– la part allouée aux matières premières a augmenté de plus de 25 %, reflétant l’augmentation de leur prix et la montée en technicité des produits des équipementiers ;
– la part revenant aux travailleurs et travailleuses des usines de confection a baissé de 30 %. Elle n’est pas suffisante pour leur permettre d’atteindre un salaire décent dans la plupart des pays ;
– les bénéfices des fournisseurs ont été presque divisés par trois, montrant la pression accrue exercée par les équipementiers sur les prix et, en cascade, la pression exercée par les fournisseurs sur leurs ouvriers et ouvrières (la part allouée aux coûts de production s’est réduite de 5 % malgré l’augmentation des prix des matières premières) ;
– la part allouée au marketing et au sponsoring s’est accrue de 20 % chez Nike (et avoisinerait le double pour Adidas). Le sponsoring représenterait aujourd’hui un tiers de ces dépenses, soit 1,5 % de la valeur totale des chaussures ;
– quant au bénéfice de la marque, il est en augmentation de presque 40 % pour Nike (bien supérieur à celui d’Adidas). Il peut aller de 5 % du prix des baskets vendues chez un distributeur comme Foot Locker, jusqu’à 30 % pour le même produit vendu par la marque sur son site internet. In fine, les bénéfices réalisés par Nike dépassent 10 % de son chiffre d’affaires global. À titre de comparaison, la moyenne du secteur textile était de 4 % en 2017 et de 5,9 % sur les dix dernières années.
Les impôts tu éviteras
La capacité des équipementiers sportifs à générer des bénéfices et à reverser des dividendes croissants à leurs actionnaires ne vient pas seulement de leur capacité à créer de la valeur et à contenir les coûts. Ils peuvent également s’appuyer sur des mécanismes d’évasion fiscale sophistiqués. C’est ce qu’ont révélé les « paradise papers » sur le cas de Nike : tous ses articles vendus en Europe sont facturés par le siège européen de la marque, basé à Hilversum aux Pays-Bas[11]. C’est donc dans ce pays que le chiffre d’affaires réalisé dans toute la région est imposé. Or, jusqu’en 2014, ce siège hollandais a reversé des sommes importantes au titre de l’usage de la marque à une autre filiale du groupe basée aux Bermudes, Nike International Ltd, qui détenait tous les droits de licence du groupe dans le monde. Le siège européen de Nike aurait ainsi transmis aux Bermudes, où le taux d’imposition est nul, plus de 3,85 milliards de dollars au titre de l’utilisation du droit de marque entre 2010 et 2012, diminuant d’autant ses bénéfices aux Pays-Bas, et donc les impôts à payer dans ce pays. En raison de l’évolution des règles fiscales, le réseau offshore de Nike aux Bermudes aurait été démantelé en 2014, tandis qu’une nouvelle société a été créée aux Pays-Bas pour abriter les droits de marque : Nike Innovate C.V. D’après les « paradise papers », les bénéfices de cette filiale – qui se sont élevés à plus d’un milliard d’euros pour 2016 – n’ont pas été imposés depuis sa création. Ceci grâce au statut spécifique de l’entreprise, une société en commandite (« Commanditaire Vennootschap ») détenue par deux filiales américaines. Grâce à ce montage, le fisc néerlandais n’imposait pas les bénéfices de l’entreprise, car il considérait que c’était à ses homologues américains de le faire (les propriétaires de la société étant aux États-Unis) et vice-versa (la société étant basée aux Pays-Bas). Nike a ainsi réussi à diviser par trois son niveau d’imposition au niveau mondial durant la dernière décennie : alors que l’entreprise payait 35 % de ses bénéfices globaux en impôts en 2006, ce taux n’était plus que de 13,2 % en 2017, soit un niveau bien inférieur à celui de Google la même année (19,2 %), un groupe pourtant réputé pour ses montages fiscaux. De ce fait, Nike aurait réalisé un gain potentiel de plus de 600 millions d’euros par an sur les dix dernières années.
L’entreprise américaine n’est pas la seule concernée puisqu’Adidas a été prise il y a quelques années dans un scandale d’offshore banking au Liechtenstein et a été pointée du doigt en 2017 pour ne pas avoir payé d’impôts en Australie, malgré ses bénéfices substantiels, et pour facturer aux Pays-Bas les ventes de son site internet allemand[12]. Dernier cas récent, celui du montage en Suisse du groupe Kering (qui possède la marque Puma) récemment révélé par Mediapart, mais aussi la condamnation de Lionel Messi pour évasion fiscale et les révélations récentes concernant Cristiano Ronaldo.
Le choix de faire mieux tu auras
Pour améliorer leurs résultats, les marques de sport ont choisi de changer de pays d’approvisionnement, délaissant progressivement la Chine où les salaires sont parmi les plus élevés d’Asie dans le secteur du textile, au profit de l’Indonésie et, surtout, du Vietnam, où les coûts de main-d’œuvre sont bien plus faibles. La montée des pays moins-disant en terme salarial dans l’approvisionnement de Nike et Adidas ont un impact social majeur. En effet, les salaires moyens y sont inférieurs de 45 % à 65 % à ce qui peut être considéré comme un minimum vital et les travailleurs et travailleuses des pays mieux-disant comme la Chine ont vu leur capacité de négociation de salaires entravée du fait de cette mise en concurrence.
Ces impacts pourraient pourtant être évités. Ainsi, si les deux groupes avaient décidé de ne pas augmenter les sommes versées à leurs actionnaires en 2017 par rapport à 2012 (voir précédemment), les montants économisés auraient permis de verser un salaire décent aux millions d’ouvriers travaillant chez leurs fournisseurs en Chine, en Indonésie, au Vietnam ou au Cambodge. Nike et Adidas auraient également pu assurer des salaires décents sur l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement plutôt que d’augmenter leurs dépenses de marketing et de sponsoring entre 2017 et 2012.
En bref, si le secteur de la chaussure de sport ne s’est jamais aussi bien porté, la valeur qu’il génère est privatisée par une minorité : les actionnaires des grandes marques et les sportifs, personnalités ou structures qui bénéficient de la surenchère du sponsoring. Les travailleurs, grands oubliés du secteur, continuent à vivre dans des conditions précaires. Pourtant, au vu des résultats économiques et des sommes astronomiques investies dans le marketing et le sponsoring, Il ne tient donc qu’à la volonté des marques de changer la donne et d’aller au-delà des déclarations d’intention pour un « business responsable », totalement dédié au respect des droits humains et qui permettra un succès économique durable (Adidas)[13], ou pour des chaînes d’approvisionnement optimisées, vertes et équitables (Nike)[14] : il s’agit juste d’une question de priorité et de choix. Alors « Just do it »!
[1] Angela Velasquez, « Why the global footwear industry needs to rethink traditional ideas », Sourcing journal, 22/05/2018.
[2] C’est le cas de l’usine de Huajian, qui compte aujourd’hui 3 000 employées et souhaite atteindre les 100 000 d’ici cinq à dix ans. L’Empire du milieu aurait engagé quelques 3 milliards d’euros dans le pays ces vingt dernières années. Cf. Laurent Filippi, « L’Éthiopie veut devenir le hub textile de l’Afrique », Géopolis Afrique/France télévisions, 16/08/2017.
[3] « L’Éthiopie, nouvel Eldorado de la chaussure chinoise », France info, 23/04/2014.
[4] Alors que le marché mondial de la chaussure augmente en moyenne de 3 % par an, les leaders du marché de la chaussure de sport connaissent une croissance annuelle moyenne de près de 10 % depuis dix ans.
[5] Cf. les deux rapports rédigés par le Basic pour le Collectif Éthique sur l’étiquette : « Anti-jeu : les sponsors laissent les travailleurs sur la touche », mai 2016 et « Anti-jeu : les sponsors laissent (encore) les travailleurs sur la touche », juin 2018.
[6] D’après les données des rapports annuels des deux entreprises compilées depuis 2011.
[7] Selon le site YCharts : pour Nike et Adidas. À titre de comparaison, la capitalisation boursière de H&M, environ 235 milliards de couronnes (26 milliards de dollars), est quasi équivalente à son chiffre d’affaires de 200 milliards de couronnes (22 milliards de dollars) en septembre 2018.
[8] Nguyen Huong, « Pou Chen and Far Eastern projects at the starting line », Vietnam investment review, 04/04/2018.
[9] Nielsen Fields, Nike Company Profile, 2017.
[10] Sur la base d’une enquête du Washington Post publiée en 2002 et des travaux de l’organisation « Sole Review ».
[11] Mario Stäuble, « Au cœur des méandres fiscaux de Nike », La tribune de Genève, 05/11/2017.
[12] Lizzy Davies, « Three multinationals accused of tax dodging », The Guardian , 31/03/2009 ; Emily Clark, « The ATO just dropped corporate tax data and more than 700 companies paid nothing », ABC, 7/12/2017 ; Elisabeth Gamperl, Frederik Obermaier et Bastian Obermayer, « Just do it », Süddeutsche Zeitung, 6/11/2017.
[13] « General approach. Our ambition is to be a sustainable company », Adidas group.
[14] Mark Parker, « Letter from our CEO » dans Nike, Inc., « Maximum performance minimum impact. Sustainable business report FY16/17 », p. 4.
Café : la success story qui cache la criseUne création de valeur qui explose…
Depuis 2003, les ventes de café en France ont plus que doublé en valeur, en particulier grâce à un renouvellement du marché lié à l’émergence des cafés arabicas premium en formats portionnés (dosettes et capsules) aujourd’hui proposés par tous les grands torréfacteurs et distributeurs et dont les français sont devenus les premiers consommateurs par habitant.
La hausse des revenus générés par cette évolution bénéficie à un secteur de plus en plus concentré : les
3 premiers acteurs du café en France, Nestlé (34%), JDE (30%) et Lavazza (17%) représentent désormais 81% du marché, contre 70% en 2008. Cette concentration des acteurs dominants renforce leur pouvoir de négociation au sein des chaînes d’approvisionnement.
…Mais ne ruisselle pas jusqu’aux producteurs
A 20 ans d’intervalle, les torréfacteurs et les distributeurs ont retiré 1,177 milliard d’euros supplémentaires de leurs ventes annuelles de café en France, tandis que les producteurs et les négociants n’ont reçu que 64 millions d’euros en plus. Ainsi, sur cette période, le revenu capté par les pays de production est passé de 24% de la valeur au milieu des années 1990 à 16% en 2017.
Or la plupart des caféiculteurs subissent actuellement une dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Confrontés à des chutes régulières des cours mondiaux du café et à une augmentation des coûts de production liée aux coûts de main d’œuvre et des intrants, dépendants de leurs acheteurs, ils souffrent également d’un manque critique de trésorerie. A titre d’exemple, les producteurs péruviens et éthiopiens ont touché en 2017 un revenu 20% plus faible que 12 ans auparavant, ce qui ne leur permet pas de dépasser le seuil de pauvreté.
Des impacts sociétaux croissants, aggravés par le changement climatique
Résultat : on observe dans les familles qui cultivent le café des problèmes de malnutrition, d’analphabétisme, voire de travail des enfants, leur paupérisation alimentant à une échelle plus large des phénomènes de migrations ou de trafic de drogue. Autres tendances inquiétantes, la hausse des pollutions environnementales liées à l’utilisation d’intrants chimiques, et la déforestation associée à l’expansion de la caféiculture et à l’intensification des pratiques agricoles.
Ces évolutions ont lieu dans un contexte d’impacts croissants du changement climatique sur la production de café, en particulier d’Arabica : les rendements et la qualité des récoltes sont régulièrement affectés, avec une augmentation des coûts de production et une dégradation des revenus des producteurs.
L’ensemble de ces impacts économiques, sociaux et environnementaux pèsent sur les économies des pays de production : à titre d’exemple, au Pérou et en Ethiopie en 2017, derrière chaque dollar généré par les exports de café il y avait entre 85 et 90 cents de coûts cachés à la charge de ces pays et de leur population (les « coûts sociétaux »), la Colombie s’en sortant mieux grâce à une meilleure valorisation du café à l’export. Des résultats qui illustrent la non-durabilité de la filière dans ces deux pays.
Un manque d’informations sur les retombées des certifications « durables »
Produit emblématique du commerce équitable, le café concentre un nombre important de démarches « alternatives » mieux disantes sur les plans environnemental et/ou social.
Sur la base de nos études de cas, les certifications « durables » comme Rainforest et UTZ – désormais fusionnées – se caractérisent par le peu d’études et d’information indépendantes qui rend difficile l’objectivation de leurs impacts. Les documents disponibles témoignent néanmoins d’une vision de la durabilité économique pour les producteurs centrée sur la hausse de leurs rendements afin d’améliorer leur rentabilité et leurs revenus ; l’idée étant qu’il n’y a pas besoin de réguler le marché pour résoudre les problématiques sociales et environnementales de la filière dès lors que les entreprises en aval se dotent de critères en la matière, ce qui est loin d’être corroboré par l’étude. Dans les faits, ces certifications sont généralement associées à des exploitations plus grandes, qui utilisent plus d’intrants et disposent de moyens et d’accompagnement supérieurs à la moyenne.
Le commerce équitable : un outil qui fonctionne…
Plus nombreuses, les études et publications sur le commerce équitable montrent que ce système permet d’améliorer la situation des producteurs de café, en particulier les revenus qu’ils dégagent de leur activité :
- En posant comme préalable aux filières équitables l’organisation collective des producteurs qui permet de renforcer leur pouvoir de négociation.
- En proposant un filet de sécurité (le prix minimum) ainsi qu’une prime collective.
- Grâce à la prime biologique qui facilite le passage en bio et permet de préserver les modèles de production agroforestiers.
C’est d’ailleurs la double labellisation équitable – agriculture biologique qui génère les meilleurs résultats, comme en témoigne le calcul des coûts cachés reportés sur la société : pour chaque dollar lié à l’export de café, les coûts sociétaux liés au café conventionnel sont réduits de 45% en Ethiopie, 58% en Colombie et 66% au Pérou.
Les leviers activés par le commerce équitable sont nécessaires car ils touchent des points clés à l’origine des problèmes de la filière.
… Mais qui ne peut répondre seul aux enjeux actuels
Toutefois, leur efficacité varie fortement en fonction des volumes de café vendus aux conditions du commerce équitable par les coopératives – souvent trop faibles par rapport à leurs ventes totales – et des contextes régionaux.
Surtout, ils ne semblent pas suffisants pour répondre de façon autonome :
- au besoin d’encadrement des rapports de force actuellement en faveur des principaux acheteurs et des pratiques commerciales déloyales qui en découlent ;
- à la question de la répartition de la valeur tout au long de la chaîne: si le commerce équitable permet aux producteurs de capter une part plus importante du prix final du café lorsqu’il est vendu en paquet 250g, cette capacité s’atténue fortement dans les cas des capsules où 85% à 90% du prix final est capté par les torréfacteurs et distributeurs.
Le besoin d’un cadre régulateur
L’enjeu de la répartition de la valeur est pourtant central : dans un secteur de plus en plus concentré, les acteurs dominants en aval réussissent à capter une part croissante de la valeur générée par la filière, alors que les producteurs ont plus que jamais besoin de moyens financiers pour lutter contre les effets du changement climatique. Plus globalement, il semble désormais indispensable de penser collectivement l’articulation entre certifications équitables et biologiques, agroforesterie et régulations publiques.
Pour en savoir plus :
- Le rapport de recherche « Étude sur la durabilité de la filière café«
- La synthèse (25 pages)
- Le résumé (2 pages)
Dans les médias français :
- Le Figaro : Café : les ventes explosent mais les producteurs sont asphyxiés
- Le Monde : Les Décodeurs – Oui, les dosettes de café en aluminium sont chères, polluantes et peu recyclées
- La Croix : Au Pérou, le succès du café profite peu aux producteurs
- RFI – Chronique des matières premières : Café : l’argent des dosettes ne profite pas aux producteurs
- RMC – Chronique Dupin Quotidien : Les Français n’ont jamais payé aussi cher leur café !
- Radio Classique – Trois minutes pour la planète
- Novethic : Journée internationale du café : les producteurs boivent la tasse
- Consoglobe : Filière du café : la success-story qui cache la crise
- Le Point : Café, un commerce encore moins équitable en période de crise
- Sud Ouest : Café, un commerce encore moins équitable en période de crise
- L’Humanité : « Matières premières : le café broie du noir
- France 24 : Café, un commerce encore moins équitable en période de crise
- Europe 1 – La France bouge : La Journée mondiale du café
- France Bleu : Les Français payent plus cher leur café à cause des dosettes
Dans les médias internationaux :
- Brésil: Associaçao Brasileira da Industria de Cafe
- Colombie: El Espectador
- Honduras: El Pulso
- Mexique: La Jornada
- Nicaragua: El Nuevo Diario
- Argentine: La Capital
Au cours des dernières décennies, les chaînes d’approvisionnement agricoles se sont mondialisées et sont devenues étroitement coordonnées par un petit nombre de groupes agroalimentaires et d’enseignes de grande distribution qui font le lien entre des millions de producteurs agricoles et une population de consommateurs en constante augmentation.
Dans ce contexte, nous avons réalisé pour Oxfam International un travail de recherche sur la répartition de la valeur – depuis les agriculteurs jusqu’aux consommateurs – d’un panier de produits alimentaires commercialisés par les grands distributeurs internationaux et sur les changements nécessaires pour garantir aux producteurs et aux travailleurs un niveau de vie durable.
Ses principaux résultats sont :
- les premières estimations quantitatives de la découpe de valeur sur les 20 dernières années pour 7 pays consommateurs (Etats-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Afrique du Sud, Thaïlande et Indonésie) et pour 12 produits alimentaires (café, thé, cacao, riz, crevettes, thon, jus d’orange, banane, raisin, haricot vert, tomate et avocat) provenant de 16 pays producteurs.
- une évaluation pour chaque produit de l’écart entre le revenu/salaire réel que touchent les petits producteurs/travailleurs et le revenu/salaire qui leur serait nécessaire pour atteindre des conditions de vie décentes.
- une analyse de ces estimations à la lumière des relations de pouvoir, de l’organisation et de la gouvernance des chaînes de valeur associées.
Il apporte de nouvelles preuves que les conditions socio-économiques des petits agriculteurs et des travailleurs se sont dégradées au cours des vingt dernières années, principalement au profit des supermarchés et, dans une moindre mesure des grandes marques et intermédiaires de la chaîne, et qu’elles se détérioreront probablement davantage dans les années à venir si les tendances actuelles se prolongent. Un point de non-retour pourrait ainsi être atteint, où la viabilité même des agriculteurs familiaux serait remise en cause et la précarisation des travailleurs atteindrait un paroxysme. Les droits de millions de personnes ainsi que la préservation de l’environnement sont susceptibles d’être mises en jeu.
Nos recherches ont également porté sur les possibilités de tracer un avenir différent, dans lequel les petits producteurs et les travailleurs peuvent parvenir à vivre décemment de leur travail et à faire valoir leurs droits. Nous avons notamment analysé les mécanismes et processus pouvant apporter des solutions face à la situation actuelle via :
- l’instauration de prix minimum pour les produits agricoles et de salaires minimum adéquats ;
- l’accroissement du pouvoir de négociation des agriculteurs et des travailleurs, en particulier des femmes ;
- le changement des modes de redistribution de la valeur le long des chaînes alimentaires.
Pour télécharger les rapports publiés par Oxfam (en anglais sauf le focus sur la France) :
- Résumé Exécutif
- Rapport Complet
- Note Méthodologique
- Focus sur le Royaume-Uni (Oxfam GB)
- Focus sur les Pays-Bas (Oxfam Novib)
- Focus sur l’Allemagne (Oxfam Deutschland)
- Focus sur les Etats-Unis (Oxfam America)
- Rapport sectoriel sur les crevettes
Dans les médias en France :
- 20 minutes : « Grande distribution: Oxfam dénonce des inégalités à la chaîne entre agriculteurs du Sud et supermarchés du Nord »
- France Info : « Les supermarchés sont de plus en plus riches alors que les paysans ont de plus en plus faim, dénonce Oxfam »
- Le Monde : « Alimentation : derrière les codes-barres, Oxfam dénonce des inégalités à la chaîne »
- L’Obs : « Alimentation : derrière les code-barres, Oxfam dénonce des inégalités à la chaîne »
- Les Inrocks : « Agroalimentaire : les multinationales font toujours plus de bénéfices… aux dépens des agriculteurs »
- La Tribune : « Agroalimentaire : les disparités ne cessent d’augmenter »
- Les Echos : « Oxfam alerte sur des inégalités à la chaîne »
- Le Point : « Oxfam dénonce les pressions de la grande distribution sur le commerce alimentaire»
- La Dépêche : « Alimentaire : les paysans grands perdants »
- La France Agricole : « La distribution dans le collimateur d’Oxfam«
- Ouest France : « Pour Oxfam, les pressions de la grande distribution affament les paysans«
- DNA : « Oxfam dénonce les pressions de la grande distribution«
Ailleurs dans le monde :
- Huffington Post (Royaume-Uni) : “British Supermarkets Are ‘Trapping’ Overseas Farmers In Poverty, Claims Oxfam”
- iNews (Royaume-Uni) : “UK supermarkets leaving farmers ‘in poverty’, according to new Oxfam report”
- Reuters: “UK supermarket squeeze on suppliers fuels poverty and abuse, campaigners say”
- The Baltimore Sun (USA) : “Supermarket giants play role in mistreatment of global food workers, report says”
- Business & Human Rights Resource Centre: “Oxfam scores US and European supermarkets on food supply chains”
- AFP: “Supermarkets must help end ‘brutal conditions’ for farmers: Oxfam”
- Deutsche Welle (Allemagne) : “Oxfam slams German supermarkets over unfair practices”
- Dutch News (Pays Bas) : “Oxfam Novib: Dutch supermarkets shortchange developing-world suppliers”
- Citizen (Afrique du Sud) : “Supermarket chains force farmworkers to endure ‘brutal conditions’ – Oxfam”
- Huffington Post South Africa : “Oxfam Report Reveals Women Are Biggest Victims Of Exploitation By Global Supermarket Industry”
- The Standard (Kenya) : “UK supermarket squeeze on suppliers fuels poverty and abuse, campaigners say”
- Free Malaysia Today (Malaisie) : “Oxfam: Supermarkets must help end ‘brutal conditions’ for farmers”
- Finanzas (Espagne) : “Alimentos: Oxfam denuncia las desigualdades entre productores y supermercados”
- El Mostrator (Chili) : “Walmart y otras cadenas son mal evaluadas en tratamiento a trabajadores”
- AFP : “Oxfam denuncia las desigualdades en el sector agroalimentario entre productores y supermercados”
- Agencia Brasil (Brésil) : “Redes de supermercados contribuem para pobreza no campo, diz estudo”
- Correio Brazilense (Brésil) : “Trabalhador que colhe frutas no Brasil ganha menos que 5% do valor de venda”
« Anti-jeu : les sponsors laissent les travailleurs sur la touche »
A quelques jours de l’Euro 2016, ces chiffres sont quelques uns des éléments marquants de la nouvelle étude du Basic pour le Collectif Ethique sur l’Étiquette qui déconstruit les modèles économiques des principaux équipementiers sportifs et analyse leurs impacts sociaux sur les travailleur(se)s des usines d’approvisionnement.
Sur ces dernières années, Nike, Adidas et Puma se sont livrés à une compétition acharnée dans leur course à la domination du marché textile sportif mondial. Pour doper les volumes des ventes, le nerf de la guerre est le sponsoring. Chaque année, les contrats atteignent de nouveaux records : la somme des contrats annuels signés avec les dix plus grands clubs européens sont ainsi passés de 262 millions d’euros en 2013 à plus de 400 millions en 2015.
Pour tenir le rythme soutenu de cette fuite en avant tout en continuant à innover, Nike, Adidas et Puma construisent des modèles d’approvisionnement qui visent à l’optimisation continue des coûts de production via des techniques de lean management initialement développées dans l’automobile. L’objectif est de réduire au maximum et de façon systématique les coûts, dont ceux liés aux travailleur(se) des usines de confection. Ils délaissent ainsi progressivement la Chine où les salaires ont récemment augmenté pour s’implanter au Vietnam et en Indonésie où les salaires sont encore bien en-dessous du salaire vital.
L’étude démontre que 20 ans après les scandales des sweatshops, les travailleurs restent la variable d’ajustement du modèle économique des équipementiers sportifs. Elle illustre également la contradiction fondamentale entre les pratiques de ces groupes et leurs engagements en matière de responsabilité sociale.
- Rapport complet « Anti-jeu : les sponsors laissent les travailleurs sur la touche » – Version française – Version anglaise
- La campagne du Collectif Éthique sur l’Étiquette #AntiJeu
(Re)lisez :
- L’article de Mediapart : Euro 2016 : des sponsors loin de leur responsabilité sociale
- L’article de Novethic : Carton rouge pour les sponsors de l’Euro 2016
- L’article du Monde : Le maillot de Messi, le nouvel avatar de la mondialisation
- L’article d’Alternatives Économiques : Des sponsors toujours aussi peu reluisants
- L’article de France Culture : L’Euro 2016 des stades aux usines d’Asie
- L’article de Basta! : Quand Nike et Adidas fuient leur responsabilité sociale pour payer des salaires toujours plus bas
- L’article de France Info : Euro 2016 : Éthique sur l’Étiquette dénonce l’anti-jeu des sponsors
- L’article de Reporterre : Euh… désolé : derrière l’Euro 2016, des travailleuses exploitées en Asie
(Ré)écoutez :
- La revue de presse du 7/9 de France Inter : Zlatan a déjà gagné la coupe d’Europe… de l’humour
- L’émission de RCF : Ce que l’Euro va (r)apporter à la France
- C’est pas du vent ! sur RFI (player ci-dessous) :
- L’émission de France Info (player ci-dessous) :
Image à la Une : Découpe de la Nike Air Jordan. Source : Basta!, d’après les données du Basic
« La face cachée du chocolat »Le marché des produits chocolatés, qui a permis l’émergence d’empires industriels de la transformation de cacao et de la fabrication de chocolat, est aujourd’hui en pleine croissance au niveau mondial. Pourtant, la filière du cacao n’est durable ni pour les producteurs ni pour l’environnement.
Au cours du XXème siècle, la standardisation et la massification de la production de cacao ont créé une asymétrie abyssale entre d’un côté, une poignée de groupes transnationaux qui fournissent la majeure partie du chocolat mondial, et de l’autre des millions de petits producteurs qui ne sont pas en capacité de s’informer sur les évolutions du marché, et encore moins de négocier le prix qu’ils reçoivent pour leur cacao.
Cette pression sur les prix du cacao maintient la majorité des producteurs et de leurs familles sous le seuil de pauvreté. Afin d’augmenter leurs revenus, ces derniers développent des stratégies court-termistes comme l’usage d’intrants chimiques et la déforestation pour augmenter leurs rendements, ou le travail des enfants pour réduire les coûts de main d’œuvre. S’enclenchent alors des cercles vicieux qui piègent les producteurs dans la précarité et alimentent toujours plus les dégradations sociales et environnementales.
En Côte d’Ivoire par exemple, 1er pays producteur avec presque 40% des volumes mondiaux, chaque euro de cacao exporté génère a minima 77 centimes de coûts cachés qui pèsent sur les populations locales. Ces coûts « sociétaux » proviennent principalement de la sous-rémunération des producteurs, du manque d’investissements dans les services locaux essentiels (écoles, centres de soins…), de la lutte contre le travail des enfants et la déforestation etc.
Suite à différentes interpellations, médiatiques ou judiciaires, mais aussi pour mieux gérer leur approvisionnement, les industriels du chocolat ont décidé de répondre aux problèmes de durabilité du cacao en ayant recours à des certifications durables et équitables. À la lecture des différentes études d’impacts conduites ces dernières années sur la filière cacao, notamment en Côte d’Ivoire et au Pérou, ces certifications rencontrent des succès divers.
Hormis une prime marginale à la qualité, les certifications durables ne permettent pas aux producteurs d’améliorer suffisamment leurs revenus. Tous n’arrivent pas à accroitre leurs rendements et pour ceux qui y arrivent, la charge supplémentaire de travail est non négligeable. Même s’il est mieux maîtrisé, l’usage d’intrants chimique ne diminue pas. Enfin, les études disponibles ne permettent pas pour l’instant de démontrer un recul du travail des enfants ou de la déforestation en lien avec les certifications durables. Peu de différences donc avec la culture conventionnelle du cacao.
Le commerce équitable peut améliorer significativement la durabilité de la filière cacao, voire initier des cercles vertueux. On constate ainsi une réduction des coûts sociétaux de 80% au Pérou.
Pour cela, un certain nombre de conditions est nécessaire :
- la garantie que les revenus des producteurs couvrent leurs coûts de production et les besoins essentiels de leurs familles ;
- le renforcement des organisations collectives de producteurs ;
- des investissements conséquents dans les services essentiels et les infrastructures locales.
Les exemples de réussite documentés dans le cadre de cette étude s’appuient également sur deux points importants :
- l’agroforesterie, qui pérennise la culture de cacao et le couvert forestier tout en préservant la biodiversité ;
- des chaînes de valeur qui valorisent l’origine du cacao et le travail des producteurs, et renforcent le lien entre ces derniers et les consommateurs.
Dès lors que ces conditions ne sont pas réunies, les résultats sont plus limités et se rapprochent fortement à ceux constatés dans le cadre des certifications durables.
La soutenabilité de la production du cacao passe donc par une action collective et concertée qui, en s’inspirant des principes fondateurs du commerce équitable, permettrait d’étendre les conditions détaillées précédemment à l’ensemble de la filière.
- Rapport complet La face cachée du chocolat – Version française
- Synthèse La face cachée du chocolat – Version française
- Synthèse The Dark Side of Chocolate – Version anglaise
- Infographie sur les filières conventionnelles et commerce équitable du cacao
(Re)lisez :
- L’article de Jeune Afrique : Côte d’Ivoire : le cacao de plus en plus équitable
- L’article de Mr Mondialisation : Une étude dévoile la face cachée du chocolat
- L’article de Novethic : Coûts cachés du cacao : le commerce équitable peut-il faire la différence ?
- L’article de Ouest-France : Un goût amer pour les producteurs de chocolat
- L’article de L’Humanité : Le commerce équitable, antidote aux crasseux coûts cachés du cacao
- L’article de Basta : La face cachée du chocolat : travail des enfants et déforestation
- L’article de La Relève et la Peste : Nestlé, Mars et Ferrero : mensonges de la filière du cacao, travail des enfants et déforestation
- L’article d’Alimenterre : La face cachée du chocolat
- L’article Peuples Solidaires – Action Aid : La face cachée du chocolat
(Ré)écoutez le podcast de l’atelier « Le chocolat face au climat » à l’occasion des Universités du commerce équitable de septembre 2016 sur Fréquence Orange.
(Ré)écoutez l’émission spéciale d’ONUCI FM, la radio des Nations Unies en Côte d’Ivoire
(Ré)écoutez l’émission « C’est pas du vent » avec Le Basic diffusée sur RFI le 29 mai 2016
1ère partie :
2ème partie :