[Article mis à jour avec un compte rendu du webinaire le 28 novembre 2024]
Le mouvement de colère agricole qui reprend actuellement de l’ampleur interroge le fonctionnement du système agroalimentaire français.
En effet, tandis qu’une majorité d’agriculteurs et d’agricultrices tirent de leur activité des revenus largement insuffisants pour vivre, les pouvoirs publics n’ont jamais autant dépensé pour le système alimentaire français : ils ont ainsi versé plus de 67 milliards d’euros en 2021 à la fois pour soutenir les acteurs du système et pour répondre aux impacts sociaux, sanitaires et écologiques qu’il génère, comme le montre notre dernier rapport de recherche*.
L’Institut Veblen a organisé ce mercredi 27 novembre un webinaire sur la question du pilotage de la planification écologique via le cas des dépenses publiques consacrées à l’agroalimentaire en France. Ce webinaire s’est ouvert par une présentation des récents travaux de recherche du BASIC sur le système alimentaire (un résumé de ces travaux est disponible ici).
« Il y a de l’argent public à disposition pour pouvoir faire des choses, mais la question de la conditionnalité des financements publics peut être légitimement posée », a déclaré Christophe Alliot, président du BASIC, en conclusion de cette présentation.
Invitée à réagir, Anne Laurent, directrice de programme Agriculture, Alimentation, Santé et Pollutions au Secrétariat général à la Planification écologique (SGPE), a affirmé que cet organisme, placé sous la tutelle du Premier ministre, partageait « les constats de fond ».
« On est arrivés à un système qui est à bout de souffle, où on a beaucoup d’acteurs qui ne sont pas contents de la situation. »
– Anne Laurent, Secrétariat général à la Planification écologique
Que peut faire la puissance publique ? Anne Laurent a estimé qu’il y avait « déjà des choses qui se passent », citant la loi Egalim et « la question des négociations avec la distribution », l’affichage environnemental sur l’alimentation qui « devrait sortir » et la Stratégie nationale alimentation nutrition climat (Snanc) qui « a pour but de mettre en cohérence les enjeux alimentation, nutrition et environnement ». « Ce n’est pas forcément facile, d’un point de vue puissance publique, de tout changer », a-t-elle tenu à souligner. D’abord, « en termes de financement, on est déjà à une certaine limite » vu « le contexte de contrainte budgétaire », a-t-elle déclaré.
Ensuite, « on a beaucoup d’acteurs qui ont des marges de manœuvre limitées d’un point de vue économique ». Quant à la régulation de la publicité pour les produits posant des problèmes de santé et de durabilité, elle a déclaré qu’il y avait une difficulté de définition des produits concernés et qu’il était compliqué de mettre en œuvre une réglementation sur la publicité passant par Internet et les réseaux sociaux.
Anne Laurent a également pointé une responsabilité des pratiques de consommation comme la recherche de prix bas non rémunérateurs pour le monde agricole, la consommation de produits ultratransformés et le recours à la restauration hors domicile, « alors que ce n’est pas forcément les endroits où on peut trouver une alimentation saine et durable ».
Christophe Alliot a quant à lui mis en lumière la responsabilité des acteurs du milieu et du bout de chaîne. « On a une concentration des unités de transformation qui se sont déterritorialisées depuis des décennies pour aller se mettre notamment dans l’ouest de la France et dans certains endroits clés et c’est en train de nous poser un problème parce qu’on concentre des outils dans des endroits qui sont de plus en plus loin des agriculteurs », a-t-il ajouté. Or, « ces unités fonctionnent avec des exigences de flux tendus, de rentabilité calée au millimètre et la capacité qu’on aura demain de continuer à avoir des produits de terroir va être de plus en plus limitée, voire mise en risque ». « Il y a certainement un besoin de remailler le territoire français avec des unités de transformation de taille intermédiaire qui permettent de garder un lien au terroir », a-t-il suggéré.
Cartographie des emplois et secteurs de l’industrie agroalimentaire (IAA) (>200 emplois) en 2020. Source : BASIC.
Un autre point bloquant concerne la publicité : « elle représente 1 000 fois plus d’argent que l’argent public pour faire de l’éducation à l’alimentation », a rappelé Christophe Alliot. « Et une grande partie de cette force publicitaire, c’est pour nous dire “venez chez moi, c’est moins cher” », ce qui fait perdre aux consommateurs et consommatrices la notion du prix réel de l’alimentation.
Voir le webinaire en vidéo :
Pour en savoir plus :
- Lisez notre rapport de recherche
- Lisez le dernier numéro de L’Economie politique, “Du champ à l’assiette, un modèle verrouillé”
* Ce rapport de recherche a été réalisé dans le cadre d’une étude portée par le Secours Catholique – Caritas France en partenariat avec le Réseau des Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, “L’Injuste Prix de notre alimentation. Quels coûts pour la société et la planète ?”.