Une création de valeur qui explose…
Depuis 2003, les ventes de café en France ont plus que doublé en valeur, en particulier grâce à un renouvellement du marché lié à l’émergence des cafés arabicas premium en formats portionnés (dosettes et capsules) aujourd’hui proposés par tous les grands torréfacteurs et distributeurs et dont les français sont devenus les premiers consommateurs par habitant.
La hausse des revenus générés par cette évolution bénéficie à un secteur de plus en plus concentré : les
3 premiers acteurs du café en France, Nestlé (34%), JDE (30%) et Lavazza (17%) représentent désormais 81% du marché, contre 70% en 2008. Cette concentration des acteurs dominants renforce leur pouvoir de négociation au sein des chaînes d’approvisionnement.
… Mais ne ruisselle pas jusqu’aux producteurs
A 20 ans d’intervalle, les torréfacteurs et les distributeurs ont retiré 1,177 milliard d’euros supplémentaires de leurs ventes annuelles de café en France, tandis que les producteurs et les négociants n’ont reçu que 64 millions d’euros en plus. Ainsi, sur cette période, le revenu capté par les pays de production est passé de 24% de la valeur au milieu des années 1990 à 16% en 2017.
Or la plupart des caféiculteurs subissent actuellement une dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Confrontés à des chutes régulières des cours mondiaux du café et à une augmentation des coûts de production liée aux coûts de main d’œuvre et des intrants, dépendants de leurs acheteurs, ils souffrent également d’un manque critique de trésorerie. A titre d’exemple, les producteurs péruviens et éthiopiens ont touché en 2017 un revenu 20% plus faible que 12 ans auparavant, ce qui ne leur permet pas de dépasser le seuil de pauvreté.
Des impacts sociétaux croissants, aggravés par le changement climatique
Résultat : on observe dans les familles qui cultivent le café des problèmes de malnutrition, d’analphabétisme, voire de travail des enfants, leur paupérisation alimentant à une échelle plus large des phénomènes de migrations ou de trafic de drogue. Autres tendances inquiétantes, la hausse des pollutions environnementales liées à l’utilisation d’intrants chimiques, et la déforestation associée à l’expansion de la caféiculture et à l’intensification des pratiques agricoles.
Ces évolutions ont lieu dans un contexte d’impacts croissants du changement climatique sur la production de café, en particulier d’Arabica : les rendements et la qualité des récoltes sont régulièrement affectés, avec une augmentation des coûts de production et une dégradation des revenus des producteurs.
L’ensemble de ces impacts économiques, sociaux et environnementaux pèsent sur les économies des pays de production : à titre d’exemple, au Pérou et en Ethiopie en 2017, derrière chaque dollar généré par les exports de café il y avait entre 85 et 90 cents de coûts cachés à la charge de ces pays et de leur population (les « coûts sociétaux »), la Colombie s’en sortant mieux grâce à une meilleure valorisation du café à l’export. Des résultats qui illustrent la non-durabilité de la filière dans ces deux pays.
Un manque d’informations sur les retombées des certifications « durables »
Produit emblématique du commerce équitable, le café concentre un nombre important de démarches « alternatives » mieux disantes sur les plans environnemental et/ou social.
Sur la base de nos études de cas, les certifications « durables » comme Rainforest et UTZ – désormais fusionnées – se caractérisent par le peu d’études et d’information indépendantes qui rend difficile l’objectivation de leurs impacts. Les documents disponibles témoignent néanmoins d’une vision de la durabilité économique pour les producteurs centrée sur la hausse de leurs rendements afin d’améliorer leur rentabilité et leurs revenus ; l’idée étant qu’il n’y a pas besoin de réguler le marché pour résoudre les problématiques sociales et environnementales de la filière dès lors que les entreprises en aval se dotent de critères en la matière, ce qui est loin d’être corroboré par l’étude. Dans les faits, ces certifications sont généralement associées à des exploitations plus grandes, qui utilisent plus d’intrants et disposent de moyens et d’accompagnement supérieurs à la moyenne.
Le commerce équitable : un outil qui fonctionne…
Plus nombreuses, les études et publications sur le commerce équitable montrent que ce système permet d’améliorer la situation des producteurs de café, en particulier les revenus qu’ils dégagent de leur activité :
- En posant comme préalable aux filières équitables l’organisation collective des producteurs qui permet de renforcer leur pouvoir de négociation.
- En proposant un filet de sécurité (le prix minimum) ainsi qu’une prime collective.
- Grâce à la prime biologique qui facilite le passage en bio et permet de préserver les modèles de production agroforestiers.
C’est d’ailleurs la double labellisation équitable – agriculture biologique qui génère les meilleurs résultats, comme en témoigne le calcul des coûts cachés reportés sur la société : pour chaque dollar lié à l’export de café, les coûts sociétaux liés au café conventionnel sont réduits de 45% en Ethiopie, 58% en Colombie et 66% au Pérou.
Les leviers activés par le commerce équitable sont nécessaires car ils touchent des points clés à l’origine des problèmes de la filière.
… Mais qui ne peut répondre seul aux enjeux actuels
Toutefois, leur efficacité varie fortement en fonction des volumes de café vendus aux conditions du commerce équitable par les coopératives – souvent trop faibles par rapport à leurs ventes totales – et des contextes régionaux.
Surtout, ils ne semblent pas suffisants pour répondre de façon autonome :
- au besoin d’encadrement des rapports de force actuellement en faveur des principaux acheteurs et des pratiques commerciales déloyales qui en découlent ;
- à la question de la répartition de la valeur tout au long de la chaîne: si le commerce équitable permet aux producteurs de capter une part plus importante du prix final du café lorsqu’il est vendu en paquet 250g, cette capacité s’atténue fortement dans les cas des capsules où 85% à 90% du prix final est capté par les torréfacteurs et distributeurs.
Le besoin d’un cadre régulateur
L’enjeu de la répartition de la valeur est pourtant central : dans un secteur de plus en plus concentré, les acteurs dominants en aval réussissent à capter une part croissante de la valeur générée par la filière, alors que les producteurs ont plus que jamais besoin de moyens financiers pour lutter contre les effets du changement climatique. Plus globalement, il semble désormais indispensable de penser collectivement l’articulation entre certifications équitables et biologiques, agroforesterie et régulations publiques.
Pour en savoir plus :
- Le rapport de recherche Étude sur la durabilité de la filière café
- La synthèse (25 pages)
- Le résumé (2 pages)
Dans les médias français :
- Le Figaro : Café : les ventes explosent mais les producteurs sont asphyxiés
- Le Monde : Les Décodeurs – Oui, les dosettes de café en aluminium sont chères, polluantes et peu recyclées
- La Croix : Au Pérou, le succès du café profite peu aux producteurs
- RFI – Chronique des matières premières : Café : l’argent des dosettes ne profite pas aux producteurs
- RMC – Chronique Dupin Quotidien : Les Français n’ont jamais payé aussi cher leur café !
- Radio Classique – Trois minutes pour la planète
- Novethic : Journée internationale du café : les producteurs boivent la tasse
- Consoglobe : Filière du café : la success-story qui cache la crise
- Le Point : Café, un commerce encore moins équitable en période de crise
- Sud Ouest : Café, un commerce encore moins équitable en période de crise
- L’Humanité : « Matières premières : le café broie du noir
- France 24 : Café, un commerce encore moins équitable en période de crise
- Europe 1 – La France bouge : La Journée mondiale du café
- France Bleu : Les Français payent plus cher leur café à cause des dosettes
Dans les médias internationaux :
- Brésil: Associaçao Brasileira da Industria de Cafe
- Colombie: El Espectador
- Honduras: El Pulso
- Mexique: La Jornada
- Nicaragua: El Nuevo Diario
- Argentine: La Capital