Cadre global

Notre cadre d’analyse

Dans quelle mesure les activités d’un secteur, d’une filière, d’une entreprise, sont-elles durables sur le plan social et écologique ? Dans quelle mesure les initiatives « durables » privées ou publiques sont-elles à la hauteur des enjeux ? Comment piloter une transition écologique et sociale à l’échelle d’une filière, d’un territoire, d’un secteur économique ?


Malgré l’essor du développement durable et de la RSE ces dernières décennies, nous faisons le constat que ces questions restent trop souvent sans réponse, au-delà des communications des acteurs économiques ou institutionnels.

Dans le même temps, les indicateurs environnementaux (climat, biodiversité…) et sociaux (égalité sociale et économique, bien-être…) se dégradent et compromettent les conditions du bien-vivre ensemble à court terme.

Afin d’apporter des réponses et de permettre un pilotage systémique de la durabilité, nous avons développé un cadre d’analyse innovant et transdisciplinaire qui articule notamment socio-économie et sciences de l’environnement, et s’appuie sur les travaux de différents chercheurs1.

Ce cadre pose comme postulat de départ le fait que les impacts de nos modes de production et de consommation sont fonction :

  • des flux de produits et de services, depuis l’origine des matières premières jusqu’aux usages finaux,
  • des modèles économiques des entreprises et de leurs rapports de force,
  • du contexte de régulation et d’intervention des pouvoirs publics.

Selon nous en effet, il n’y a pas d’impact sans flux, et même les modèles de production les plus vertueux sont insoutenables au-delà de certaines quantités produites. Les impacts dépendent également des types d’acteurs économiques impliqués et de leurs logiques économiques (objectifs de rentabilité, modèles de création de valeur…). Enfin, les pouvoirs publics peuvent soit favoriser, soit endiguer ces impacts via les lois et la réglementation (sécurité routière, tabac…) ou les différentes dépenses publiques (prévention, subventions à certains acteurs économiques ou aux particuliers…) et sont à ce titre un acteur clé de la durabilité.

L’approche des chaînes globales de valeur

Le point de départ – et objet central – de notre cadre d’analyse est le concept des chaînes globales de valeur. Cette approche est utilisée pour analyser les processus économiques depuis l’échelle mondiale jusqu’au niveau local.

Une chaine globale de valeur est « un réseau inter-organisationnel construit autour d’un produit, qui relie des ménages, des entreprises, et des États au sein de l’économie mondiale » (Palpacuer et Balas, 20232).

Contrairement à des approches de la durabilité qui se focalisent sur des produits ou des entreprises spécifiques (labels, certifications, démarches RSE…), le fait d’envisager la question de la durabilité économique, sociale et écologique à l’aune des chaînes globales de valeur permet de prendre en compte l’ensemble des interactions entre les différents acteurs et territoires qui relient la production et la consommation de produits ou services.

Cette lecture systémique facilite la compréhension des causes des impacts de nos modes de production et de consommation sur la société et l’environnement, mais aussi l’identification des leviers potentiels pour mitiger ou faire disparaître ces impacts3.

Pour analyser les chaînes globales de valeur à l’échelle d’une filière, d’un territoire, d’un groupe d’entreprises, nous avons développé plusieurs modélisations complémentaires :

  • une modélisation des flux de matières et économiques à différentes échelles : internationale, nationale, territoriale,
  • une modélisation des logiques de détermination des prix en fonction des types d’acteurs et des catégories de produits,
  • une modélisation de la répartition de la valeur économique, des coûts et des marges nettes le long des chaînes de valeur.

Les chaînes de causalités et la boussole de durabilité

Après l’analyse des chaînes de valeur, qui permet de caractériser les flux, les acteurs économiques et leurs pratiques, l’enjeu est de relier ces caractéristiques aux différents enjeux de durabilité qu’ils sont susceptibles d’impacter (rémunérations, conditions de vie et de travail, environnement…).

Pour cela nous identifions et modélisons les chaînes de causalités, ce qui permet pour un enjeu donné (par exemple la pollution de l’eau) :

  • de retracer les liens entre cet enjeu et ses différentes causes (ou « drivers »), des plus directes au plus indirectes,
  • de relier ces  « drivers » aux caractéristiques des chaînes de valeur.

Une fois ces chemins identifiés, nous utilisons une « boussole de durabilité » qui matérialise de façon didactique et synoptique les principaux enjeux sociaux et écologiques liés à la filière, au secteur, ou à l’entreprise que nous étudions.

Développée à partir du concept de donut créé par Kate Raworth et fondée sur une approche de durabilité forte, cette boussole permet aux acteurs concernés (élus, institutions, entreprises…) d’appréhender puis de suivre l’évolution de leurs enjeux de durabilité – et donc de piloter leur transition le cas échéant.

Les coûts sociétaux

Résumons : grâce aux étapes précédentes, nous avons pu relier les chaînes de valeur aux impacts sociétaux auxquels ils contribuent.

Ces impacts peuvent se concrétiser par des coûts (coûts de dépollution, ou de traitement de maladies par exemple) qui sont pour partie à la charge des pouvoirs publics (États, collectivités…), et pour partie à la charge de tiers lorsque les pouvoirs publics décident de ne pas les prendre en charge.

D’un autre côté, les pouvoirs publics investissent chaque année dans l’économie – et donc les chaînes de valeur – via des subventions, des incitations, ou des exonérations qui bénéficient à certaines catégories d’acteurs économiques.

Dans tous les cas, se sont in fine les citoyens qui assurent, via leurs impôts ou leurs dépenses privées, la prise en charge de ces coûts. C’est ce que nous regroupons sous le terme de coûts sociétaux, concept issu des travaux de l’économiste K.W. Kapp publiés dans les années 19604.

Associés à la boussole de durabilité, l’évaluation puis le suivi des coûts sociétaux permet une analyse et un pilotage systémique de la durabilité : en effet, il est ainsi possible de jauger l’efficacité des dépenses publiques (dans leur dimension préventive/incitative et curative) en vis-à-vis de l’évolution des principaux indicateurs socio-économiques et environnementaux synthétisés dans la boussole.

Au-delà de nos différentes missions, nous travaillons donc à la diffusion de notre cadre méthodologique auprès de différents publics : société civile, institutions, réseaux d’acteurs économiques… afin d’alimenter les débats sur les orientations des politiques publiques et les dépenses associées.


[1] K. W. Kapp, G. Gereffi, F. Palpacuer, J. L. Rastoin, R. Passet, K. Raworth…

[2] Florence Palpacuer, Nicolas Balas. Les chaînes globales de valeur. Encyclopédie de la stratégie, 2023, 9782376876069. hal-04537812f – https://hal.science/hal-04537812/document

[3] Dit autrement, la pollution de l’air, de l’eau et des sols n’est pas le fait d’une entreprise, ni même d’un secteur seul, pas plus que celui des consommateurs. Leur compréhension, puis leur résolution passe par une vision plus complexe des interactions, modes d’organisation et relations de pouvoir entre les différentes parties prenantes et leurs logiques économiques.

[4] K. W. Kapp, The social costs of business enterprise, Russell Press Ltd., Bulwel Lane, Nottingham, 1963 http://www.kwilliam-kapp.de/documents/SCOBE_000.pdf  

En français : K. W. Kapp, Les coûts sociaux de l’entreprise privée, réédition en français, Les Petits Matins, 2015 https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/150-les-couts-sociaux-de-lentreprise-privee.html

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