Aides publiques liées au salariat agricole : des effets qui questionnent

Les salariés agricoles sont les grands oubliés des débats sur l’agriculture. Pourtant 7 personnes sur 10 qui travaillent dans le secteur agricole sont des salariés et la pénurie de main-d’œuvre y est toujours plus préoccupante. Dans ce contexte, la CFDT Agri Agro a missionné le Basic pour analyser les effets des exonérations de cotisations sociales patronales, principales mesures en faveur de l’emploi agricole.


Les exonérations de cotisations patronales en agriculture prennent la forme de deux dispositifs : « Travailleurs Occasionnels Demandeurs d’Emplois » (TO/DE) qui est spécifique au monde agricole, et « Fillon » qui est un mécanisme transverse à tous les secteurs d’activité. Ensemble, ces 2 dispositifs représentent plus de 10% du montant total des financements publics français à l’agriculture en 2021.

Après trois décennies, aucun de ces deux dispositifs n’a fait l’objet d’une évaluation par les pouvoirs publics : les bénéficiaires ne sont pas connus, et les effets engendrés sur la création d’emploi et les conditions de travail n’ont pas été analysés. Pourtant, les enjeux sont élevés : la part des salariés dans la population active agricole ne cesse d’augmenter et ce sont aujourd’hui 7 personnes sur 10 qui travaillent en agriculture qui sont salariées.

Face à cette situation, la CFDT Agri Agro et le BASIC ont cherché à apporter des premiers éléments d’analyse pour nourrir une future évaluation de ces dispositifs.

Concernant l’objectif de création d’emploi assigné aux 2 mécanismes, aucun effet n’a pu être objectivé d’autant que 2,5 fois plus d’emplois salariés agricoles ont été détruits qu’il n’en a été créé en France sur la période 2003 – 2016 (dernière année où des estimations ont été publiées). Ces destructions correspondent à une perte de 111 000 emplois entre ces 2 années. Quant à la lutte contre le travail illégal, objectif assigné au dispositif TO/DE, aucune donnée ne permet de conclure à un impact positif car s’il y a baisse du nombre d’infractions et de victimes constatées depuis 2014, il y a également eu d’importantes coupes budgétaires dans les moyens alloués aux contrôles sur la période.

Sur le plan économique, les exonérations de cotisations patronales ont été promues par les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans comme  instrument essentiel pour soutenir la compétitivité de l’agriculture française face à nos concurrents européens, américains et asiatiques. Pour investiguer ce point, le BASIC a réalisé un travail innovant de modélisation à partir des données du réseau d’information comptable agricole (RICA) sur les principales filières employeuses de salariés : maraichage, arboriculture, viticulture et élevage bovin lait.

Les estimations ainsi réalisées confirment que les dispositifs TO/DE et Fillon permettent à toutes les exploitations qui emploient a minima des travailleurs occasionnels, et de surcroît des permanents, des économies de 3% à 6% sur le coût de chaque quantité produite (une baisse modérée mais qui peut faire une différence notable sur le marché). Les effets des exonérations sont plus marqués sur le résultat courant avant impôt (RCAI) des exploitations (qui permet aux agriculteurs de se verser un revenu), avant tout pour les exploitations qui emploient plus de 3 salariés permanents : elles ont un résultat net (RCAI) qui est de 20% à 33% supérieur à ce qu’il serait sans les exonérations de cotisations patronales.

Cependant, ces exploitations qui bénéficient le plus des dispositifs TO/DE et Fillon ont aussi un modèle agricole très questionnant du point de vue environnemental. A titre d’illustration :

  • En maraîchage, les exploitations de 3 à 9 salariés représentent 1 exploitation sur 10 dans la filière, mais captent un tiers de l’ensemble des exonérations de cotisations de cette même filière. Elles dépensent 10 fois plus en achat de gaz par hectare (probablement pour le chauffage de leurs serres), 3 fois plus en engrais par hectare et 7 fois plus en pesticides par hectare que les exploitations de la filière dites « familiales ».
  • En arboriculture, les exploitations de 3 à 9 salariés représentent un peu moins de 1 exploitation sur 10 dans la filière, mais captent un quart de l’ensemble des exonérations de cotisations de cette même filière. Elles dépensent 3 fois plus en gazole non routier par hectare (pour leurs machines), 2 fois plus en engrais par hectare et 4 fois plus en pesticides par hectare que les exploitations de la filière dites « familiales ».

Ces usages beaucoup plus intensifs de ressources fossiles, engrais et pesticides sont potentiellement la source d’impacts élevés sur le climat, la pollution de l’eau et des sols, la biodiversité et la santé, en premier lieu pour les travailleurs agricoles en raison du degré d’exposition plus élevé.

Au niveau social, l’étude met en lumière une forte présomption de création de trappe à bas salaires entre 1 SMIC et 1,2 SMIC dans lequel les travailleurs agricoles se retrouvent piégés en raison de la structure même des dispositifs d’exonérations TO/DE et Fillon qui génèrent des économies maximales entre ces 2 bornes.

Cela sans compter les nombreux autres facteurs de précarité de l’emploi et de difficulté des conditions de travail en agriculture qui contribuent à rendre ces métiers de moins en moins attractifs alors qu’ils sont essentiels, non seulement pour la souveraineté alimentaire du pays, mais aussi et surtout pour mettre en œuvre la nécessaire transition écologique et sociale du système alimentaire français.

Pour en savoir plus :

Dans les médias :

Photo d’illustration : Travailleurs maraîchers dans l’Ain. G. David.

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