Le numérique fait désormais partie intégrante de notre vie quotidienne, bouleversant le fonctionnement de l’économie et de la société dans son ensemble. Dans quelle mesure fait-il aujourd’hui évoluer les secteurs agricole et alimentaire ?
Notre étude met en lumière les conséquences multiples et encore en partie incertaines du développement et de la diffusion des outils numériques dans les filières alimentaires, et qui sont de nature à bousculer tous les acteurs depuis la fourniture de produits et services pour l’agriculture jusqu’à la consommation finale des produits alimentaires.
Les avancées numériques offertes par les acteurs privés sont certes porteuses de promesses de réduction des impacts environnementaux (dont les émissions de gaz à effet de serre, usage d’engrais et de pesticides de synthèses…) et de la pénibilité du travail. Mais le marché oriente ces avancées vers les acteurs les plus influents, renforçant de ce fait leurs positions dominantes dans les filières alimentaires et la captation de valeur par ces acteurs. Au-delà, les avancées liées à la numérisation se focalisent le plus souvent sur l’optimisation des performances pour permettre aux acteurs de baisser leurs coûts pour chaque euro de valeur créée. Ce faisant, ils amplifient la convergence vers des modèles économiques capitalistiques et automatisés, et ce tout au long des filières alimentaires.
Au contraire, pour assurer la durabilité du système alimentaire de même que sa résilience, il s’agirait aujourd’hui de rendre possible les changements de modèles de production et de permettre leur diversité à travers les territoires et les filières. Atteindre cet objectif nécessite de choisir collectivement la direction dans laquelle orienter les avancées numériques dans le secteur agricole et alimentaire, et pose donc la question du ciblage des investissements publics en la matière et de la régulation par les pouvoirs publics de ce marché. Des questions essentielles au moment où se jouent les derniers arbitrages de la nouvelle Politique Agricole Commune de l’Union Européenne.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter :
- Les différents volets de notre état des lieux :
La base de données sur les projets agricoles soutenus par l’État français dans le cadre de l’Aide Publique au Développement développée par le Basic est requêtable sur 1 500 mots clés et variants. Cet outil a nécessité le croisement et la fiabilisation les informations issues de 7 bases de données publiques et plusieurs sites internet institutionnels, rassemblant 9 571 lignes de projets pour un total de 5,8 milliards d’euros engagés entre 2009 et 2018.
Les 3 ONGs ont ainsi pu passer au crible les informations sur les projets financés par la France et viennent de publier les principaux résultats de leurs analyses dans leur rapport intitulé « Une pincée d’agroécologie pour une louche d’agro-industrie ».
Les résultats sont éclairants : seuls 13,3% de ces montants contribuent à une agroécologie « transformative », agissant à la fois sur les pratiques mais aussi sur les systèmes agricoles (modification du droit foncier, protection des ressources naturelles…). En complément, 9,3% des sommes ont soutenu des projets de verdissement des pratiques agricoles, mais sans ambition systémique.
À l’opposé, 23,6 % des financements ont appuyé des projets « non agroécologiques » (accroissement des rendements sans souci de modèle agricole, développement d’une agriculture industrielle…), fréquemment avec la participation de groupes français privés ayant des ambitions dans les pays concernés.
Le fléchage des financements en faveur de la transition écologique et sociale de l’agriculture reste ainsi très insuffisant au regard des engagements pris par l’Etat, et les contradictions entre ses différentes politiques publiques restent à résoudre.
Pour aller plus loin :
- Le rapport d’analyse du CCFD-Terre Solidaire, d’Oxfam France et d’Action Contre la Faim : Une pincée d’agroécologie pour une louche d’agroindustrie
- L’annexe méthodologique
Dans les médias :
- Le Monde – Ecologie : la France finance aussi des projets agro-industriels dans le monde
- Le Monde (tribune) – Aide au développement : « La France investit presque deux fois plus dans des projets agro-industriels que dans des projets d’agroécologie »
- La Croix – Aide au développement, trois ONG dénoncent le « double discours » français
- L’Info durable – Aides agricoles aux pays du Sud: la France accusée de privilégier l’agro-industrie à l’agro-écologie
- Info Nature – En Afrique, la France promeut l’agro-écologie… et finance l’agro-industrie !
- Terre-net – La France accusée de privilégier l’agro-industrie à l’agro-écologie
Avec un milliard de repas servis chaque année en France, la restauration scolaire a des répercussions majeures non seulement sur les habitudes alimentaires des enfants mais aussi sur le monde agricole, en première ligne pour produire cette alimentation et, par extension, sur l‘ensemble de la population et l’environnement.
En s’appuyant sur les données issues de l’outil PARCEL, le BASIC a réalisé une étude des effets de l’instauration de menus végétariens sur le climat, l’eau et les risques de déforestation. Ainsi, en partant de l’hypothèse que la loi EGAlim est pleinement appliquée1 et qu’un menu végétarien hebdomadaire et obligatoire est servi à tous les élèves de la maternelle au lycée, les premiers impacts seraient déjà significatifs :
- une réduction de 14 à 19 % des gaz à effet de serre émis pour produire l’alimentation des cantines ;
- une réduction de 16 à 18 % des coûts de dépollution de l’eau liée aux activités agricoles pour l’alimentation des cantines ;
- une réduction de 8 à 11 % de la consommation d’eau liée à la production agricole de l’alimentation des cantines ;
- une réduction de 22 à 27 % des importations d’aliments pour les animaux d’élevage (et donc une réduction du risque de déforestation importée associé) destinés à l’alimentation des cantines.
Au-delà, l’introduction de 2 menus végétariens par semaine permettraient notamment :
- une réduction de 28 à 38 % des émissions de gaz à effet de serre émis pour produire l’alimentation des cantines ;
- une réduction de 41 à 51 % des importations d’aliments pour les animaux d’élevage (et donc une réduction du risque associé de déforestation importée) destinés à l’alimentation des cantines.
Pour consulter les résultats complets de l’étude, cliquer sur le lien suivant : Menus végétariens dans les cantines : quels impacts pour la planète ?
Dans les médias :
- Emission RMC Matin : « Un rapport de Greenpeace détaille l’impact positif sur la planète des menus végétariens«
- BFM TV : « Les effets impressionnants des menus végétariens imposés à la cantine sur les émissions de gaz à effet de serre«
- Cnews : « Voici l’impact réel des menus végétariens à la cantine sur les émissions de CO2«
- Le Monde : « Menus végétariens dans les cantines : des retombées positives pour l’environnement«
- Le Figaro Etudiant : « Cantines : Greenpeace exige de passer à deux menus végétariens par semaine«
- Ouest France : « Cantines scolaires. Il faut passer à deux menus végétariens par semaine, estime Greenpeace«
- Les Dernières Nouvelles d’Alsace : « Cantines : Greenpeace réclame deux menus végétariens par semaine«
- Le Courrier Picard : « Greenpeace réclame deux menus végétariens par semaine dans les cantines scolaires«
- ConsoGlobe : « Alimentation : les menus végétariens à la cantine font du bien à la planète«
- L’Info Durable : « Cantines scolaires : Greenpeace demande deux menus végétariens par semaine«
1 Dans le cadre de la loi EGAlim, depuis le 1er novembre 2019, toutes les cantines scolaires doivent proposer à leurs élèves au moins un repas végétarien par semaine. Pour l’étude, il a été considéré que 100% des cantines appliquent effectivement la loi.
Quel est le coût réel de la Fast Fashion ?Comme Zara ne publie aucune donnée sur les niveaux de salaires chez ses fournisseurs et ses prix d’achat, nous avons réalisé notre propre estimation détaillée de la composition du prix d’un sweatshirt estampillé « RESPECT » vendu à l’été 2019 dans les magasins de la marque.
Selon nos calculs : Inditex (maison-mère de Zara) gagne 4,20€ par article, soit plus de deux fois plus que toutes les personnes impliquées dans la fabrication du produit (2,08 € francs), des champs de coton en Inde à la filature de Kayseri, dans le centre de la Turquie, jusqu’aux usines de confection à Izmir.
L’enquête de Public Eye sur place met en lumière la pression exercée sur les prix par l’entreprise. L’usine chargée de la confection des 20 000 sweatshirts n’a reçu que neuf lires turques par pièce (soit 1,53 €) et l’imprimerie qui a apposé le slogan aurait touché à peine 9 centimes par impression. Pour s’en sortir, les propriétaires des usines sont contraints de payer leur personnel moins qu’ils ne le devraient, ou de le faire travailler plus.
D’après les informations récoltées en Turquie, les ouvriers et ouvrières gagneraient entre 2000 et 2500 lires turques par mois (310 à 390 €), soit un tiers environ du salaire vital estimé par la Campagne Clean Clothes (6130 lires).
Les salaires de misère ne sont pourtant pas une fatalité : 3,62 € de plus par article consacrés à la main-d’œuvre suffiraient à garantir un salaire vital à tous les travailleurs et travailleuses. Même s’il prenait sur ses bénéfices pour couvrir cette somme, Inditex continuerait à faire des profits sur chaque sweatshirt vendu – plus que tous ses sous-traitants dans la chaîne…
Sur la base de ces résultats, les partenaires de l’étude – Public Eye, le Collectif Ethique sur l’Etiquette et Schone Kleren Campagne – ont démarré une campagne pour interpeller Inditex, qui affichait en 2018 un bénéfice net record de 3,44 milliards d’euros, et engager l’entreprise à changer ses pratiques pour mettre en œuvre concrètement un salaire décent pour toutes celles et ceux qui travaillent dans ses chaînes d’approvisionnement.
Pour aller plus loin :
- L’enquête publiée par Public Eye
- Notre rapport conjoint avec le Collectif Ethique sur l’Etiquette
Dans les médias,
- En France:
- En Suisse :
- Le Courrier – Le «respect» selon Zara en question
- Le Temps – L’industrie de la mode rattrapée par ses démons
- Bon à Savoir : Le pull aux œufs d’or
- En Allemagne :
- Der Spiegel – Respekt – aber für wen?
- 20 Minuten – An diesem Hoodie sollen Näher 1.27 Fr. verdienen
- Luzerner Zeitung – Kein Respekt vor Näherinnen? Modehändler Zara am Pranger
- En Italie :
- La Repubblica – Lavoro e salari dignitosi, la Campagna « Abiti Puliti »: « Ecco quanto costa davvero un maglione da 39,67 euro »
- Avvenire – «La felpa simbolo della sostenibilità prodotta sfruttando i lavoratori»
- Vita – Zara, il greenwashing di un’azienda che parla di sostenibilità sfruttando i lavoratori
- Au Royaume-Uni :
- Yahoo Finance – Zara’s sustainable sweatshirt raises troubling fashion ethics issues
- Business and Human Rights – Turkey: Investigation tracks production of ‘sustainable’ Zara hoody, revealing garment worker exploitation & low wages
- Ecotextile News – Investigation into Inditex raises worker concerns
- Just-Style – Human rights groups call on Inditex to ‘respect” living wages
- Quartzy – Zara’s sustainable sweatshirt raises troubling fashion ethics issues
A partir de 2021, la nouvelle directive européenne protégera donc les fournisseurs dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 350 millions d’euros contre les pratiques commerciales déloyales dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Elle couvrira les fournisseurs – européens comme non européens – contre : les retards de paiement concernant les produits périssables (fruits, légumes…), les annulations de commandes de dernière minute, les modifications unilatérales ou rétroactives des contrats de fourniture, l’utilisation abusive d’informations confidentielles et les représailles ou la menace de représailles contre les fournisseurs…
Les autorités de contrôle des États membres auront le pouvoir de lancer des enquêtes (d’office) et les ONGs auront le droit de déposer des plaintes lorsque les fournisseurs n’osent pas le faire (les principales caractéristiques de l’accord sont accessibles ici).
C’est le résultat d’un travail de plaidoyer conjoint mené par plusieurs organisations et plates-formes de la société civile à travers l’Europe depuis 2013, en particulier nos partenaires Fair Trade Advocacy Office, la campagne Make Fruit Fair, Banana Link et Commerce Équitable France.
De notre coté, nous sommes ravis d’avoir eu l’opportunité de contribuer à cette dynamique en publiant 2 études qui ont soutenu leur campagne :
- « Qui a le pouvoir » en novembre 2014, accompagné d’une vidéo sur internet qui investigue les conséquences sociales et environnementales de la concentration croissante du pouvoir dans les chaînes alimentaires. Les principaux résultats ont été présentés au Parlement européen avec le soutien d’Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.
- «Les chaînes de valeur de la banane en Europe et les conséquences des pratiques commerciales déloyales» en novembre 2015, qui a également été présentée au Parlement européen (voir l’image ci-dessus).
Notre article sur Nike et Adidas dans la revue Projet
En 2016, plus de 23 milliards de paires de chaussures se sont vendues dans le monde[1], soit environ trois paires pour chaque habitant de la planète. 4 % ont été produites en Europe ; 87 % en Asie, principalement en Chine, dans des villes usines pouvant compter jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers, et au Vietnam, principal concurrent de l’Empire du milieu. Le choix des zones de production semble désormais dicté par le coût du travail et les marques se dirigent la plupart du temps vers les pays ou régions dont les salaires sont les plus bas. Illustration de cette dynamique, l’Éthiopie a réussi à attirer ces dernières années quelques grands groupes du secteur – majoritairement chinois[2] –, grâce à la mise en place d’une politique volontariste qui comprend la création de zones économiques spéciales où les frais d’installation et de fonctionnement sont quasiment inexistants pour l’industrie manufacturière du textile[3], et à des salaires jusqu’à dix fois inférieurs à ceux pratiqués en Chine. Au-delà de ces grandes tendances, difficile de retracer l’itinéraire de fabrication d’une paire de chaussures : les chaînes d’approvisionnement sont souvent éclatées géographiquement et se caractérisent par leur forte opacité et leur instabilité.
Difficile de retracer l’itinéraire de fabrication d’une paire de chaussures : les chaînes d’approvisionnement sont souvent éclatées géographiquement et se caractérisent par leur forte opacité et leur instabilité. |
En termes de ventes, les choses sont plus claires : les chaussures de ville classiques, pour femmes ou hommes, perdent du terrain au profit des sneakers, « baskets de ville » plus confortables et plus à la mode qui privilégient des matériaux comme le textile, le caoutchouc et le plastique. En France, les sneakers représenteraient désormais 50 % du marché (jusqu’à 80 % pour les chaussures pour enfant). Cette évolution illustre un phénomène plus large d’hybridation entre le monde du sport et celui de la mode, qui s’appuie sur des valeurs telles que la santé et le dépassement de soi. Elle a redynamisé les ventes du secteur et accru le chiffre d’affaires des marques de chaussures de sport[4]. En France, si le marché de la chaussure est dominé par le groupe Vivarte (11 % des parts de marché), qui possède notamment La Halle, Minelli et San Marina, Nike et Adidas sont désormais juste derrière avec 7 % de parts de marché chacun et les plus forts taux de croissance. Concernant les seules chaussures de sport, ces deux groupes représentent environ 55 % du marché en Europe, devant Décathlon (8 %), Puma (5,4 %) et Asics (4,2 %) et peuvent illustrer certaines évolutions du secteur dans son ensemble[5].
Le cours de la bourse tu chériras
Le modèle économique de Nike et Adidas se caractérise par une capacité à augmenter d’année en année le chiffre d’affaires, à générer des profits croissants et à rémunérer de mieux en mieux leurs actionnaires. Entre 2011 et 2017, leur chiffre d’affaires a crû de 9 % par an en moyenne, soit deux fois plus vite que le marché des articles de sport[6]. Et depuis 2006, les dividendes ont doublé chez Adidas, quand ils ont été multipliés par trois pour Nike. Avec une performance supérieure de 70 % en moyenne à l’indice américain du Dow Jones sur les quatre dernières années, la marque au swoosh (la virgule à l’envers, logo de Nike) est désormais une référence en termes de résultats boursiers. Selon les analystes financiers, 1000 $ d’actions Nike achetées en 2007 valent désormais 3319 $. C’est la cinquième plus forte progression de Wall Street sur la période, derrière Netflix, Amazon, Apple et Starbucks, mais devant Google, Microsoft et Coca-Cola. En 2018, la capitalisation boursière de Nike s’élève à plus du quadruple de son chiffre d’affaires, soit près de 134 milliards de dollars (environ 120 milliards d’euros). À la suite d’un redressement spectaculaire ces deux dernières années, le groupe allemand Adidas pèse quant à lui plus de 49 milliards d’euros en bourse, soit plus que le double de son chiffre d’affaires annuel (21,2 milliards d’euros en 2017)[7].
Le modèle économique de Nike et Adidas se caractérise par une capacité à augmenter d’année en année le chiffre d’affaires, à générer des profits croissants et à rémunérer de mieux en mieux leurs actionnaires. |
En 2017, Nike a reversé 2,1 milliards d’euros supplémentaires à ses actionnaires par rapport à 2012 et Adidas 229 millions d’euros. Une bonne affaire pour les principaux actionnaires qui, à l’exception du créateur Phil Knight, qui détient 1,6 % du capital, sont des grands gestionnaires d’actifs ou de fonds de pension internationaux, comme The Vanguard Group (7,8 %), BlackRock (6,1 %), ou Capital World Investors (5 %). The Vanguard Group et BlackRock qui comptent également parmi les premiers actionnaires… d’Adidas !
Dans ta marque tu investiras
Ces résultats exceptionnels sont le fruit d’une stratégie marketing qui consiste à se positionner au croisement entre le monde du sport et celui de la mode. C’est la tendance « Athleisure » (« sports et loisirs »), illustrée par les modèles Stan Smith (Adidas) et Dunk Sky High (Nike), portés indifféremment à l’école, au bureau ou pour faire du sport. Lancée aux États-Unis, cette mode s’est imposée dans la plupart des marchés européens ainsi que dans les pays émergents. Elle s’appuie sur des modèles cultes et vintage valorisant l’histoire des marques. La gamme « Originals » d’Adidas réalise désormais les deux tiers de la croissance du groupe.
Le dynamisme de ce segment est également lié à une promotion active (campagnes de publicité, placements de produits dans des clips vidéo, événements…) qui implique des personnalités de la mode, du sport et du show-business. Ces associations ont permis à Nike et Adidas de renforcer leur attractivité grâce à la renommée des stars et aux passions qu’ils génèrent auprès du grand public. Le marketing et le sponsoring prennent ainsi une place croissante dans les budgets des équipementiers sportifs : 13 % du chiffre d’affaires d’Adidas (2,7 milliards d’euros), 10 % de celui de Nike (3 milliards d’euros) en 2017. Estimées à 1,2 milliard d’euros, les seules dépenses de sponsoring de Nike représentaient la même année environ 40 % de son budget marketing, soit quatre fois plus qu’en 2012.
En termes de modèle économique, ces investissements massifs et croissants dans l’immatériel vont de pair avec une multiplication des modèles, liée à la stratégie de « personnalisation de masse » déployée par les grandes marques du secteur. Les consommateurs bénéficient désormais d’une très grande variété de modèles à un coût très proche de celui des produits standardisés. Le nombre de modèles de Nike a augmenté d’environ 25 % en deux ans et d’un facteur 15 depuis les années 1980.
Tes coûts tu réduiras
Les chaussures de sport sont presque entièrement fabriquées en Asie via des réseaux très étendus de fournisseurs. Nike a bâti son succès sur ce modèle, qui lui a permis de réduire ses coûts de production, ce qui a poussé Adidas à totalement délocaliser sa production en Asie à partir des années 1990. Cette dynamique a suscité l’émergence de sociétés de grande taille en Asie qui ont développé des réseaux d’usines sur tout le continent. Le taïwanais Pou Chen, par exemple, possède la plus grosse usine de chaussures de sport de la planète : on y fabrique environ 20 % des chaussures de sport vendues chaque année dans le monde[8]. Il existe désormais une « organisation triangulaire » dans laquelle les intermédiaires sont en contact direct avec les équipementiers et gèrent pour eux la chaîne d’approvisionnement à travers leurs réseaux de sous-traitants.
Pour accroître leur pouvoir de négociation et contenir leurs coûts de production tout en conservant la qualité de leurs produits, Nike et Adidas ont imposé le « lean management » à leurs fournisseurs. Inventé chez Toyota dans les années 1970 pour les activités d’assemblage d’une grande variété de composants, ce système de gestion s’appuie sur deux piliers : le « juste à temps » (production en flux tendu pour réduire les délais d’approvisionnement) et la minimisation des coûts de production. Dans ce cadre, l’un des outils des équipementiers sportifs est le « target costing », qui détermine pour chaque modèle le prix final proposé au consommateur, la marge commerciale souhaitée et, in fine, le coût de production maximum du produit. Les salaires des ouvriers et ouvrières servent dès lors de variable d’ajustement aux fournisseurs pour fabriquer au coût exigé, en respectant le cahier des charges qualité qui leur est imposé. À plus long terme, Nike et Adidas semblent vouloir réduire encore les coûts en automatisant leurs chaînes de fabrication. Non sans graves conséquences sociales pour les pays dépendant de leurs exportations en textile-habillement.
Les salaires des ouvriers et ouvrières servent dès lors de variable d’ajustement aux fournisseurs pour fabriquer au coût exigé. |
Enfin, depuis quelques années, l’optimisation des coûts par les grandes marques de sport ne se limite plus aux chaînes d’approvisionnement en amont, mais concerne également les circuits de distribution en aval. Historiquement centrés sur le commerce de gros d’articles de sport, Nike et Adidas réalisent désormais plus d’un quart de leur chiffre d’affaires en vente directe, via leurs boutiques (un millier pour Nike, plus de 2500 pour Adidas), et surtout par internet. Les ventes en ligne représentent déjà 1,8 milliard d’euros pour Nike et 1,6 milliard d’euros pour Adidas, soit respectivement 6 % et 7,5 % de leur chiffre d’affaires global. Les deux équipementiers comptent doubler ce pourcentage d’ici 2020, au détriment de la vente en magasin. Selon une étude du cabinet Nielsen Fields, ce canal de distribution est un enjeu majeur pour Nike et Adidas : grâce à la réduction des intermédiaires, les chaussures vendues par internet rapporteraient sept fois plus que dans la distribution traditionnelle (passant de 8 à 54 dollars pour des baskets vendues 168 dollars[9]).
Les travailleurs tu oublieras
Si les marques justifient le lean management par une diminution des déchets, une augmentation de la productivité et une meilleure adaptabilité aux tendances, elles omettent son impact social : cadences de travail élevées imposées par le « juste à temps » et, surtout, pression sur les coûts des fournisseurs, en particulier pour la main-d’œuvre, alors même qu’elle ne représente qu’une part infime de la valeur finale d’une paire Nike ou d’Adidas (environ 2,5 % selon nos estimations). Cette dynamique est illustrée par l’évolution de la découpe de la valeur des chaussures Nike et Adidas[10].
Tableau I. Estimation de la découpe moyenne du prix d’une chaussure de Nike et Adidas
Paire de chaussures Nike en 1995 | Paire de chaussures Nike en 2017 | Paire de chaussures Adidas en 2017 | Paire de chaussures Nike en 2017 vendues sur internet | |
Distributeur (y compris TVA) | 49 % | 50 % | 50 % | 20 % (TVA) |
Marque (impôts) | 1,5 % | 1 % | 1 % | 1 % |
Marque (bénéfice) | 3,5 % | 5 % | 2 % | 30 % |
Marque (autres coûts) | 12 % | 12 % | 13 % | 17 % |
Marque (marketing + sponsoring) | 4 % | 5 % | 8 % | 5 % |
Transport (+ douanes) | 5 % | 5 % | 5 % | 5 % |
Coûts de production | 24 % | 22 % | 21 % | 22 % |
Fournisseur (autres coûts + bénéfice) | 7 % | 2,5 % | 2,5 % | 2,5 % |
Salaires des travailleur.euse.s | 4 % | 2,5 % | 2,5 % | 2,5 % |
Matières premières | 13 % | 17 % | 16 % | 17 % |
Source : BASIC, d’après les informations publiées par le Washington Post (1995) et de www.solereview (2018)
Ces données montrent qu’entre 1995 et 2017 :
– la part allouée aux matières premières a augmenté de plus de 25 %, reflétant l’augmentation de leur prix et la montée en technicité des produits des équipementiers ;
– la part revenant aux travailleurs et travailleuses des usines de confection a baissé de 30 %. Elle n’est pas suffisante pour leur permettre d’atteindre un salaire décent dans la plupart des pays ;
– les bénéfices des fournisseurs ont été presque divisés par trois, montrant la pression accrue exercée par les équipementiers sur les prix et, en cascade, la pression exercée par les fournisseurs sur leurs ouvriers et ouvrières (la part allouée aux coûts de production s’est réduite de 5 % malgré l’augmentation des prix des matières premières) ;
– la part allouée au marketing et au sponsoring s’est accrue de 20 % chez Nike (et avoisinerait le double pour Adidas). Le sponsoring représenterait aujourd’hui un tiers de ces dépenses, soit 1,5 % de la valeur totale des chaussures ;
– quant au bénéfice de la marque, il est en augmentation de presque 40 % pour Nike (bien supérieur à celui d’Adidas). Il peut aller de 5 % du prix des baskets vendues chez un distributeur comme Foot Locker, jusqu’à 30 % pour le même produit vendu par la marque sur son site internet. In fine, les bénéfices réalisés par Nike dépassent 10 % de son chiffre d’affaires global. À titre de comparaison, la moyenne du secteur textile était de 4 % en 2017 et de 5,9 % sur les dix dernières années.
Les impôts tu éviteras
La capacité des équipementiers sportifs à générer des bénéfices et à reverser des dividendes croissants à leurs actionnaires ne vient pas seulement de leur capacité à créer de la valeur et à contenir les coûts. Ils peuvent également s’appuyer sur des mécanismes d’évasion fiscale sophistiqués. C’est ce qu’ont révélé les « paradise papers » sur le cas de Nike : tous ses articles vendus en Europe sont facturés par le siège européen de la marque, basé à Hilversum aux Pays-Bas[11]. C’est donc dans ce pays que le chiffre d’affaires réalisé dans toute la région est imposé. Or, jusqu’en 2014, ce siège hollandais a reversé des sommes importantes au titre de l’usage de la marque à une autre filiale du groupe basée aux Bermudes, Nike International Ltd, qui détenait tous les droits de licence du groupe dans le monde. Le siège européen de Nike aurait ainsi transmis aux Bermudes, où le taux d’imposition est nul, plus de 3,85 milliards de dollars au titre de l’utilisation du droit de marque entre 2010 et 2012, diminuant d’autant ses bénéfices aux Pays-Bas, et donc les impôts à payer dans ce pays. En raison de l’évolution des règles fiscales, le réseau offshore de Nike aux Bermudes aurait été démantelé en 2014, tandis qu’une nouvelle société a été créée aux Pays-Bas pour abriter les droits de marque : Nike Innovate C.V. D’après les « paradise papers », les bénéfices de cette filiale – qui se sont élevés à plus d’un milliard d’euros pour 2016 – n’ont pas été imposés depuis sa création. Ceci grâce au statut spécifique de l’entreprise, une société en commandite (« Commanditaire Vennootschap ») détenue par deux filiales américaines. Grâce à ce montage, le fisc néerlandais n’imposait pas les bénéfices de l’entreprise, car il considérait que c’était à ses homologues américains de le faire (les propriétaires de la société étant aux États-Unis) et vice-versa (la société étant basée aux Pays-Bas). Nike a ainsi réussi à diviser par trois son niveau d’imposition au niveau mondial durant la dernière décennie : alors que l’entreprise payait 35 % de ses bénéfices globaux en impôts en 2006, ce taux n’était plus que de 13,2 % en 2017, soit un niveau bien inférieur à celui de Google la même année (19,2 %), un groupe pourtant réputé pour ses montages fiscaux. De ce fait, Nike aurait réalisé un gain potentiel de plus de 600 millions d’euros par an sur les dix dernières années.
L’entreprise américaine n’est pas la seule concernée puisqu’Adidas a été prise il y a quelques années dans un scandale d’offshore banking au Liechtenstein et a été pointée du doigt en 2017 pour ne pas avoir payé d’impôts en Australie, malgré ses bénéfices substantiels, et pour facturer aux Pays-Bas les ventes de son site internet allemand[12]. Dernier cas récent, celui du montage en Suisse du groupe Kering (qui possède la marque Puma) récemment révélé par Mediapart, mais aussi la condamnation de Lionel Messi pour évasion fiscale et les révélations récentes concernant Cristiano Ronaldo.
Le choix de faire mieux tu auras
Pour améliorer leurs résultats, les marques de sport ont choisi de changer de pays d’approvisionnement, délaissant progressivement la Chine où les salaires sont parmi les plus élevés d’Asie dans le secteur du textile, au profit de l’Indonésie et, surtout, du Vietnam, où les coûts de main-d’œuvre sont bien plus faibles. La montée des pays moins-disant en terme salarial dans l’approvisionnement de Nike et Adidas ont un impact social majeur. En effet, les salaires moyens y sont inférieurs de 45 % à 65 % à ce qui peut être considéré comme un minimum vital et les travailleurs et travailleuses des pays mieux-disant comme la Chine ont vu leur capacité de négociation de salaires entravée du fait de cette mise en concurrence.
Ces impacts pourraient pourtant être évités. Ainsi, si les deux groupes avaient décidé de ne pas augmenter les sommes versées à leurs actionnaires en 2017 par rapport à 2012 (voir précédemment), les montants économisés auraient permis de verser un salaire décent aux millions d’ouvriers travaillant chez leurs fournisseurs en Chine, en Indonésie, au Vietnam ou au Cambodge. Nike et Adidas auraient également pu assurer des salaires décents sur l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement plutôt que d’augmenter leurs dépenses de marketing et de sponsoring entre 2017 et 2012.
En bref, si le secteur de la chaussure de sport ne s’est jamais aussi bien porté, la valeur qu’il génère est privatisée par une minorité : les actionnaires des grandes marques et les sportifs, personnalités ou structures qui bénéficient de la surenchère du sponsoring. Les travailleurs, grands oubliés du secteur, continuent à vivre dans des conditions précaires. Pourtant, au vu des résultats économiques et des sommes astronomiques investies dans le marketing et le sponsoring, Il ne tient donc qu’à la volonté des marques de changer la donne et d’aller au-delà des déclarations d’intention pour un « business responsable », totalement dédié au respect des droits humains et qui permettra un succès économique durable (Adidas)[13], ou pour des chaînes d’approvisionnement optimisées, vertes et équitables (Nike)[14] : il s’agit juste d’une question de priorité et de choix. Alors « Just do it »!
[1] Angela Velasquez, « Why the global footwear industry needs to rethink traditional ideas », Sourcing journal, 22/05/2018.
[2] C’est le cas de l’usine de Huajian, qui compte aujourd’hui 3 000 employées et souhaite atteindre les 100 000 d’ici cinq à dix ans. L’Empire du milieu aurait engagé quelques 3 milliards d’euros dans le pays ces vingt dernières années. Cf. Laurent Filippi, « L’Éthiopie veut devenir le hub textile de l’Afrique », Géopolis Afrique/France télévisions, 16/08/2017.
[3] « L’Éthiopie, nouvel Eldorado de la chaussure chinoise », France info, 23/04/2014.
[4] Alors que le marché mondial de la chaussure augmente en moyenne de 3 % par an, les leaders du marché de la chaussure de sport connaissent une croissance annuelle moyenne de près de 10 % depuis dix ans.
[5] Cf. les deux rapports rédigés par le Basic pour le Collectif Éthique sur l’étiquette : « Anti-jeu : les sponsors laissent les travailleurs sur la touche », mai 2016 et « Anti-jeu : les sponsors laissent (encore) les travailleurs sur la touche », juin 2018.
[6] D’après les données des rapports annuels des deux entreprises compilées depuis 2011.
[7] Selon le site YCharts : pour Nike et Adidas. À titre de comparaison, la capitalisation boursière de H&M, environ 235 milliards de couronnes (26 milliards de dollars), est quasi équivalente à son chiffre d’affaires de 200 milliards de couronnes (22 milliards de dollars) en septembre 2018.
[8] Nguyen Huong, « Pou Chen and Far Eastern projects at the starting line », Vietnam investment review, 04/04/2018.
[9] Nielsen Fields, Nike Company Profile, 2017.
[10] Sur la base d’une enquête du Washington Post publiée en 2002 et des travaux de l’organisation « Sole Review ».
[11] Mario Stäuble, « Au cœur des méandres fiscaux de Nike », La tribune de Genève, 05/11/2017.
[12] Lizzy Davies, « Three multinationals accused of tax dodging », The Guardian , 31/03/2009 ; Emily Clark, « The ATO just dropped corporate tax data and more than 700 companies paid nothing », ABC, 7/12/2017 ; Elisabeth Gamperl, Frederik Obermaier et Bastian Obermayer, « Just do it », Süddeutsche Zeitung, 6/11/2017.
[13] « General approach. Our ambition is to be a sustainable company », Adidas group.
[14] Mark Parker, « Letter from our CEO » dans Nike, Inc., « Maximum performance minimum impact. Sustainable business report FY16/17 », p. 4.
Rapport sur le CAC 40 : quelques précisions utiles1. Concernant notre méthodologie :
L’étude comparerait des pommes et des poires : pour avoir une bonne vision de ce que gagnent les actionnaires par rapport aux salariés, il ne serait pas pertinent de comparer les dividendes à l’intéressement des salariés. Concernant ces derniers, il faudrait rajouter les salaires.
Cette critique part d’une mauvaise (ou trop rapide) lecture de notre étude : cette dernière n’a pas pour ambition de regarder la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail, mais celle des bénéfices entre les différentes parties prenantes de l’entreprise. Dit autrement, notre question de recherche est « A qui profitent les profits du CAC40 ? » et non « Que gagnent les actionnaires comparativement aux salariés ? ».
Dans le cadre de notre étude, nous avons considéré que les bénéfices étaient tout autant le fruit du capital fourni par les actionnaires que celui du travail des salariés et des performances de l’outil de production. Sur cette base, nous avons investigué la question de la répartition des « parts du gâteau » entre actionnaires, salariés et réinvestissement dans l’entreprise. Ce faisant, nous avons appliqué aux entreprises du CAC 40 une méthodologie similaire à celle mise au point par J.P. Cotis, directeur général de l’INSEE, pour étudier le partage des profits dans le rapport sur la commandité par Nicolas Sarkozy en 2009[1].
Si nous avions voulu répondre à l’autre question (Que gagnent les actionnaires comparativement aux salariés ?), il aurait fallu analyser des ensembles comparables, à savoir « dividendes + valorisation des actions[2] » d’un côté, et « salaires + intéressements de l’autre ». Encore une fois, cela n’était pas notre question de recherche.
L’étude mettrait à tort les dividendes et l’intéressement au même niveau.
Selon les tenants de cette critique, l’intéressement serait une seconde rémunération pour les salariés alors que les dividendes seraient la seule rémunération des actionnaires. Dès lors, il serait normal selon eux que les actionnaires captent la majorité des bénéfices sous forme de dividendes.
En échange de son investissement, un actionnaire détient un titre de propriété qu’il peut valoriser en numéraire à n’importe quel moment. Les titres qu’ils possèdent pouvant être revendus plus chers que le prix d’achat, on peut considérer que la plus-value qui en résulte alors représente la première rémunération de l’actionnaire pour son placement. A noter que sur ces dernières années le taux de détention moyen d’une action dans les pays de l’OCDE est passé de 5 ans à 5 mois en moyenne[3], ce qui montre que la fréquence des achats et reventes d’actions s’accélère.
Bien évidemment, il se peut que le prix de revente soit moins élevé que le prix d’achat, ce qui génère une perte pour l’actionnaire. Il y a donc un risque pour ce dernier, qui est supposé être rémunéré par les dividendes.
A titre de comparaison, dans le cas de l’achat d’un bien immobilier, l’investisseur prend également un risque sans pour autant avoir la garantie d’un revenu intermédiaire systématique (loyer par exemple) entre l’achat et la revente. Sur la base de cet exemple, dire que les dividendes sont la seule rémunération des actionnaires revient à dire que les loyers sont la seule rémunération des propriétaires immobiliers : dans les deux cas c’est oublier qu’ils détiennent une propriété qu’ils peuvent valoriser à tout moment, et sur laquelle ils peuvent dégager une plus-value substantielle.
Les dividendes comme l’intéressement sont (ou devraient être) des rémunérations complémentaires – et non systématiques – qui viennent récompenser l’adhésion de différentes parties prenantes au projet d’entreprise. Il ne s’agit pas de revenus obligatoires, prioritaires et incompressibles. A ce titre, ils peuvent être comparés l’un à l’autre.
L’étude n’aurait pas pris en compte les rachats d’actions, plus fréquents aux Etats Unis et qui expliquent une meilleure profitabilité des actions des entreprises américaines (vs les actions du CAC 40).
C’est faux. Pour répondre à notre question de recherche, nous avons utilisé un indicateur classique de l’analyse financière, le « payout ratio » qui est le ratio entre d’un côté les dividendes et les rachats d’actions, et de l’autre le résultat net des entreprises. Il a été utilisé entre autres par la banque centrale d’Australie[4] pour mesurer la part des bénéfices qui revient aux actionnaires des différents indices boursiers du monde entier. Cet indicateur renseigne sur la part des bénéfices qui revient in fine aux actionnaires, une question très différente de celle de la rentabilité/profitabilité des actions, qui est quant à elle mesurée par le « return on equity » (ROE).
A l’aune du « payout ratio », les entreprises du CAC 40 sont bien celles qui redistribuent le plus de dividendes à leurs actionnaires, devant les Etats Unis selon l’étude de la banque centrale d’Australie.
En regardant les niveaux de dividendes sans prendre en compte leurs impacts sur la valorisation des titres pour évaluer l’enrichissement des actionnaires, l’étude biaiserait la réalité car une hausse des dividendes fait « mécaniquement » baisser la valeur des actions, ce qui entrainerait finalement un résultat neutre pour l’actionnaire (il gagne sur les dividendes ce qu’il perd sur la valorisation).
Si cette compensation peut être observée dans un certain nombre de cas le jour du versement des dividendes, elle n’est pas automatique[5] contrairement à ce que laissent penser certains économistes et elle n’augure en rien de la valeur du titre le jour de la revente des actions, qui est par définition inconnu.
Le versement des dividendes correspond donc plus à « 1 tiens vaut mieux que 2 tu l’auras » dans un contexte d’incertitude sur les gains futurs (à la revente de l’action) : dans ce sens, il s’agit bien d’un enrichissement immédiat des actionnaires.
Une autre erreur de notre étude serait de comparer des dividendes reversés à l’échelle mondiale, à l’intéressement des salariés… français.
Là encore, il semble que certains analystes ou journalistes soient passés trop rapidement sur le rapport puisque nous avons bien comparé les dividendes et l’intéressement à l’échelle des groupes et non à l’échelle de la France.
De façon générale, les détails de notre méthodologie sont consultables ici.
2. Ce que nous retirons de la recherche
- Les profits du CAC 40 sont prioritairement dirigés vers les actionnaires, ce qui laisse les autres usages potentiels, en particulier le réinvestissement dans les entreprises, comme variable d’ajustement.
- L’actionnariat qui perçoit ces dividendes a changé : plus international, moins de petits actionnaires, plus de fonds spéculatifs qui recherchent et imposent une rentabilité à court terme (voir pages 24 à 26 de notre rapport et dans cet article des Echos qui porte plus largement sur la détention de toutes les actions cotées en France : https://www.lesechos.fr/03/06/2014/LesEchos/21700-129-ECH_qui-detient-vraiment-la-bourse-de-paris–.htm ). L’essentiel des profits est donc distribué à un actionnariat qui ne représente pas l’ensemble des parties prenantes qui contribuent à la création de richesses des entreprises. Pourtant, les bénéfices sont le fruit d’un travail collectif qui mobilise non seulement le capital des actionnaires mais aussi le travail et la créativité des salariés, les infrastructures mises à disposition par les pouvoirs publics, les fournisseurs…
- Si l’on considère l’ensemble des revenus des entreprises du CAC 40 que nous avons étudiées, au-delà de leur seul bénéfice, les données que nous avons collectées montrent que la part des dividendes et rachat d’actions dans leur chiffre d’affaires total a augmenté de 44% depuis 2009, contre à peine 8% pour les salaires et traitements, et 16,5% pour les impôts. Ce chiffre démontre, là encore, la part croissante allouée aux actionnaires par rapport aux autres parties prenantes depuis la crise, cette fois sur les recettes globales des entreprises.
- Au sein des entreprises, les travaux de l’AMF montrent que les rémunérations des dirigeants sont de plus en plus liées à la valorisation des actions. Cette évolution peut être mise en vis-à-vis d’un pilotage stratégique qui privilégie les logiques de rentabilité à court terme portées par une part croissante des actionnaires du CAC 40 (une pratique questionnée y compris par les grands fonds d’investissement anglo-saxons comme BlackRock – voir page 23 de notre rapport).
- Cet alignement croissant des intérêts des PDGs et des actionnaires a pour conséquence des écarts qui se creusent entre rémunérations des dirigeants et salaires moyens dans leurs entreprises. On peut considérer que cette inflation des salaires des dirigeants est une « mode », tout comme celle qui touche les salaires des footballeurs. Pourtant, les travaux d’économistes comme Gaël Giraud pointent les dangers liés à cette inégalité croissante en rappelant que cette évolution génère de plus en plus de tensions chez une grande part des salariés – et plus largement des citoyens – qui considèrent ne pas toucher une juste rétribution en vis-à-vis de leurs efforts.
- Dernier constat : via les paradis fiscaux et les crédits d’impôts, les entreprises du CAC 40 ont la capacité de minimiser les sommes reversées à l’Etat Français, tout en rémunérant davantage les actionnaires et les dirigeants (voir pages 45 à 54 de notre rapport).
En analysant l’évolution des bénéfices et de leur répartition, notre objectif est de participer au questionnement sur le rôle sociétal des entreprises et de leur gouvernance.
En conclusion, les données du rapport remettent en cause le concept des « premiers de cordée », selon lequel les bons résultats des grands groupes français bénéficient automatiquement à l’ensemble de la nation. A l’heure où la plupart de ces entreprises s’engagent dans des politiques RSE ambitieuses qui font la part belle aux valeurs collectives, les bénéfices– conséquents – qu’elles génèrent ne sont pas répartis équitablement entre leurs différentes parties prenantes et sont au contraire privatisés par un actionnariat qui s’éloigne de plus en plus de l’image du petit porteur épargnant.
Dans le même temps, les inégalités de salaires s’accroissent entre leurs dirigeants et la moyenne de leurs salariés, et le manque de transparence sur leur implantation dans les paradis fiscaux persiste malgré les scandales à répétition et leur médiatisation.
Dans ce contexte, les discussions autour de la future loi PACTE1 constituent une bonne opportunité pour redéfinir collectivement le rôle sociétal des entreprises.
[1] J.P. Cotis, Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France, Rapport au Président de la République, INSEE, 2009
Téléchargeable à : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000213/index.shtml
[2] En effet, le rapport annuel sur le CAC 40 publié par EY montre que la valeur en bourse du CAC 40 a augmenté de 35% entre 2009 et 2016 (passant de 1002 à 1351 milliards d’euros), soit plus encore que les dividendes et rachats d’actions analysés dans le cadre de notre étude – pour plus d’information consulter : http://www.rlcf.ey.com/Publication/vwLUAssets/R%C3%A9sultats_11%C3%A8me_%C3%A9dition_du_profil_financier_du_cac40/%24FILE/ey-resultats-11eme-edition-du-profil-financier-du-cac40.pdf
[3]https://www.letemps.ch/opinions/cinq-ans-sinon-rien
[4] Lien vers l’étude : https://www.rba.gov.au/publications/bulletin/2016/mar/pdf/bu-0316-6.pdf
[5] Pour plus d’explications sur la complexité du lien entre dividendes et cours de bourse, voir :
- https://finance.zacks.com/stock-price-change-dividend-paid-3571.html
- https://www.investopedia.com/articles/investing/091015/how-dividends-affect-stock-prices.asp
- https://basepub.dauphine.fr/bitstream/handle/123456789/9846/cereg2000-09_BELLALAH_Reflexions%20sur%20la%20politique%20optimale%20de%20dividendes.pdf?sequence=1&isAllowed=y
Réalisée en partenariat avec l’AScA, cette étude, qui s’est échelonnée sur 1 an et 3 phases distinctes, propose tout à la fois :
- une prise de recul sur l’évolution des comportements alimentaires en France,
- une analyse de la création et de la répartition de la valeur économique le long des filières correspondantes (lait, viande, céréales, fruits et légumes…),
- une analyse comparative de 5 systèmes alimentaires plus durables.
L’étude étaye la non-durabilité du système alimentaire actuel et démontre – quand les données sont disponibles – la performance socioéconomique des principales alternatives existantes (bio, équitable, circuits courts…), avant de conclure par des recommandations par acteurs (pouvoirs publics, entreprises, citoyens…).
Le résumé et la synthèse :
Pour aller plus loin :
- Rapport volet 1 : analyse des valeurs sociales de l’alimentation
- Rapport volet 2 : analyse de la valeur socioéconomique de l’alimentation, et de sa répartition
- Rapport volet 3 : quels sont les impacts d’une alimentation plus durable sur sa valeur, les emplois et les coûts cachés ?
Pour une alimentation durable
Cette étude se divise en 3 phases : la première sur la valeur sociale de l’alimentation en France, la seconde sur sa valeur économique, et la dernière sur les effets socioéconomiques de systèmes alimentaires plus durables.
Après la publication du premier volet cet été (disponible ici), l’ADEME vient de mettre à disposition les résultats de la seconde partie qui s’attache à comprendre la création et la répartition de la valeur dans les chaînes de valeur alimentaires françaises.
- Quelle est la valeur économique créée par les filières alimentaires du territoire français ?
- Comment la valeur économique est-elle répartie entre les différents acteurs des chaînes de valeur ?
- Comment évoluent les emplois liés à ces filières ?
- Quels sont les éventuels coûts cachés liés aux activités de consommation, de production et de ventes alimentaires ?
Telles sont les principales questions de recherche de cette nouvelle publication, qui devront permettre dans la partie conclusive de caractériser en vis-à-vis du système agroalimentaire actuel les impacts socioéconomiques de modèles alimentaires plus durables.
A noter que l’ensemble des résultats (parties 1, 2 et 3 ainsi qu’une analyse transverse) seront disponibles courant février 2018.
Le rapport
- Le rapport complet pour la phase 2 : La valeur socio-économique de l’alimentation française
- La synthèse de la phase 2
Tel est le résultat de notre nouvelle étude « Un livre français : Évolutions et impacts de l’édition en France ». Cette étude passe au crible les impacts sociaux et environnementaux des filières de production du papier et du livre, dans les coulisses industrielles de nos bibliothèques.
Une logique commerciale qui augmente le gaspillage
Au-delà de l’inestimable valeur culturelle qu’il véhicule, le livre est-il devenu un objet de consommation de masse ?
En France, la financiarisation de l’édition observée ces 20 dernières années a accéléré la concentration du secteur : en 2014, 3 groupes (Hachette Livre, Editis et Madrigall) se partageaient 50% du chiffre d’affaires du secteur.
Les impératifs de rentabilité à court terme désormais en vigueur sont à l’origine d’un modèle de vente qui favorise le gaspillage : chaque année, plus d’1 livre sur 4 est ainsi détruit (« pilonné ») sans jamais avoir été lu.
L’industrie papetière, 3ème secteur le plus touché par les destructions d’emploi, après le textile et l’extractif
Dans le même temps, les industries françaises de l’impression et surtout du papier se sont effondrées ces 10 dernières années, au profit de groupes situés dans d’autres pays, en Europe ou dans des pays en développement. 1 emploi sur 3 a disparu depuis 2000 dans l’industrie papetière, 3ème secteur le plus touché en France par les destructions d’emplois après les secteurs textile et extractif.
Désormais, les fabricants de livres s’approvisionnent majoritairement auprès d’une filière mondialisée du papier dont les impacts environnementaux et sociaux sont peu connus des professionnels comme du grand public.
Le Brésil, symbole de la mondialisation du papier
Au Brésil, d’où provient la majorité de la pâte à papier nécessaire au papier de nos romans, des conglomérats de taille mondiale exploitent d’immenses plantations d’eucalyptus clonés au détriment de la biodiversité, des paysans locaux et de la ressource en eau.
Pour un livre durable
Plantations de bois certifiées, fibre recyclée ou liseuse, notre étude montre qu’aucune alternative ne peut à elle-seule mettre fin aux impacts sociétaux constatés.
Elle conclut sur le besoin urgent de faire émerger, avec tous les acteurs, une filière du livre durable en France qui prenne en compte plusieurs dimensions, entre autres : une remise en question du système de surproduction des livres, un soutien public à la filière du recyclage papier, et une re-territorialisation des étapes de fabrication et d’impression.
Le rapport
- Le rapport : Un livre français : évolutions et impacts de l’édition française
- La bibliographie : Bibliographie du rapport Un livre français
- Le communiqué de presse : BASIC-CP_Etude Un livre français_Septembre 2017
- En savoir plus sur les coûts sociétaux : Evaluer les coûts sociétaux pour choisir les modèles économiques de demain
Revue de presse
- ActuaLitté : Surproduction, mondialisation, recyclage : pour un livre durable, L’édition française coûte 52 millions d’euros par an à la société, L’édition déraisonnable : « Aujourd’hui, on édite des livres pour les détruire » et Soutenir le droit d’auteur, oui ; moraliser l’édition, moins
- BFMTV : Le secteur du livre, mauvais élève du développement durable
- Grazia : Chaque année dans l’édition, 1 livre sur 4 part au pilon
- Konbini : Le secteur du livre doit se mettre à la page sur le développement durable
- Le Figaro Économie : L’environnement, chapitre oublié des éditeurs
- Libération : Rentrée littéraire : est-ce que je pollue en lisant ?
- Livres Hebdo : Un coût social et environnemental trop élevé pour l’édition française
- L’Obs : Edition : un livre sur quatre part au pilon, soit 142 millions de livres par an
- L’Observatoire des multinationales et BastaMag! : Invendus, pollutions, délocalisations : les coûts cachés de la rentrée littéraire
- Mon Quotidien : Vrai ou faux ? En France, 1 livre neuf sur 4 est détruit chaque année
- Novethic : Rentrée littéraire : le coût des livres
- Sud Ouest : Développement durable : en France, le livre « vert » est à inventer
- Télérama : L’édition, mauvaise élève du développement durable ?
- TV5Monde : « Une filière durable du livre » est à inventer
- Live-tweet sur ActuaLitté
Sur les ondes
- France Inter : CO2 Mon Amour
- RFI – Chronique des matières premières : Quel papier pour les livres de la rentrée littéraire ?
- RFI – C’est pas du vent : L’impact méconnu de l’édition française
- RMC – Bourdin Direct / Dupin Quotidien : Imprime-t-on trop de livres en France ?
- RTL – C’est notre Planète : Un livre sur 4 doit être détruit en France